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Olivier DelacrétazEditorial
La Nation n° 1819 14 septembre 2007
Que de bruit et de fureur, d’à-peu-près et de contradictions! La haine qu’elle porte au conseiller fédéral Christoph Blocher fait dérailler la presse. Des titres accusateurs énormes surmontent des textes au conditionnel. Des photos plus énormes encore nous font connaître les moindres aspects dermatologiques du «tribun zuricois». Des griefs infantiles apparaissent et disparaissent, croûtons incertains dans une soupe électorale brassée avec frénésie. En gros – et en caractères gras – M. Blocher aurait voulu la peau du procureur de la Confédération, M. Roschacher, pour sauver un ami, l’ancien banquier déchu et décheux Oskar Holenweger, suspecté de blanchiment d’argent sale. «Ce n’est pas un ami, mais une simple connaissance, que je n’ai pas vue depuis vingt ans», rectifie en substance M. Blocher. «Faux, faux, ha ha, ils se sont vus il y a dix-neuf ans!», corrige un journaliste triomphant. L’étau de la vertu se resserre! Un nouveau scoop y contribue: Holenweger était un camarade d’école de Mme Blocher! Dévoilant, sinon un complot, du moins une menée, l’Hebdo avance sa publication d’un jour, pour paraître en même temps que le rapport de la commission de gestion. L’émission Infrarouge invite M. Blocher, offrant aux commentateurs un thème déchirant: Inviter M. Blocher, n’est-ce pas faire de la publicité à ses idées? Thème inverse, même déchirure: Ne pas l’inviter, n’est-ce pas en faire une victime et augmenter son succès? Si les commentaires sont nombreux avant l’émission, on n’en parle plus après: circulez, il n’y avait rien à voir! Entendez: on n’a pas réussi à l’attraper. Le candidat Claude Ruey déclare à la presse qu’il est «un cocu de Blocher»: c’est un axe de campagne comme un autre. Le même Hebdo annonce avec fracas la sortie d’un ouvrage de M. Cherix énumérant les trente-trois infractions commises par M. Blocher depuis qu’il est au pouvoir. Enquête à charge malveillante, médiocre et besogneuse de sous-commissaire politique soviétique! On n’en attendait pas moins du «petit ventilateur». M. Holenweger est appréhendé en Allemagne tandis qu’il se promène avec le plan du complot visant à éjecter M. Roschacher. La police allemande remet ledit plan à la commission de gestion; ce plan n’est pas un plan, juste un brouillon personnel, déclare le suspect. Le rapport de la commission est réputé accablant; puis il n’est plus accablant, en attendant de l’être à nouveau. Le conseiller fédéral Couchepin dit que les accusations contre son collègue sont graves. Comme c’est intéressant! La question serait peut-être aussi de savoir si elles sont vraies. La présidente de la commission, Mme Lukrezia Meyer-Schatz, reçoit des menaces de mort, qu’une habile mise en page permet d’attribuer directement à l’un des chef de l’UDC. On sonde gravement le peuple: «Et si M. Blocher a vraiment fait tout ça, doit-il partir?» Pour certains, la question ne se pose plus en ces termes: «Comploteur ou victime, là n’est plus la question. […] Qu’il ressorte blanchi ou non de l’enquête lancée pour faire la lumière sur l’affaire Roschacher n’y changera rien», écrit Mme Stéphanie Germanier dans Le Matin-Dimanche du 9 septembre. Oui, coupable ou non, il faut qu’il paie! Le réélire, ce serait désavouer une presse qui a tant fait pour l’étaler; ce serait une manière inacceptable de pécher contre l’esprit du temps!

En parallèle, le parti radical valaisan, par son organe Le Confédéré, publie la photo de M. Oskar Freysinger, chef de la section valaisanne de l’UDC, à côté de celle de Hitler avec ce slogan: «Autrichiens: on a déjà donné». On a le droit d’être xénophobe quand c’est pour la bonne cause! La presse du dehors n’en a guère parlé, ne désirant sans doute ni soutenir une attaque qui pourrait connaître des suites pénales, ni rompre l’unité de la lutte antiblochérienne.

La presse – 24 heures un peu plus circonspect – présente et commente les choses de telle façon que le lecteur ne sait rien, et qu’il est invité à soupçonner tout. On reproche souvent au parti de M. Blocher de se placer sur un terrain passionnel. Soit, mais il n’y est pas seul. Depuis des semaines, nous subissons une véritable mise en condition dont on peut craindre qu’elle ne s’aggrave jusqu’au 21 octobre. Le sens des proportions, le simple bon sens, le souci de justice n’ont plus cours. La gravité d’une accusation devient un indice de véracité. Le moindre écho est invoqué comme une confirmation. Chacun s’appuie sur ce que dit ou fait l’autre pour aller un petit bout plus loin. Le tintamarre est tel qu’il empêche même d’examiner de façon critique le travail réel de M. Blocher. C’en est au point que si celui-ci proposait une loi attentatoire aux souverainetés cantonales ou à l’autonomie des corps intermédiaires, il n’est même pas sûr que La Nation le remarquerait!

Dans les moments de lucidité, on se pose tout de même quelques questions. Et pour commencer, pourquoi un chef de département fédéral aurait-il besoin de fomenter un «complot» – avec schémas dessinés et liste écrite de complices – pour se séparer d’un collaborateur, même indirect, avec lequel il ne s’entend pas?

A qui cette cabale évidente doit-elle profiter? Quel rôle joue dans cette affaire l’obsession des démocrates-chrétiens de retrouver un deuxième siège au Conseil fédéral? Pourquoi ce malheureux Holenweger portait-il sur lui, le 26 mars 2007, à Stuttgart, en pleine nuit, ce fameux plan destiné à déboulonner M. Roschacher, alors que celui-ci avait déjà perdu son poste en juin de l’année précédente? Et encore, comment expliquer l’obligeance, pour ne pas dire la complaisance, de la police allemande à l’égard de la commission de gestion? Dans un autre registre encore, les milieux, de gauche et de droite, économiques et idéologiques, qui militent en faveur de l’adhésion à l’Europe ne jouent-ils pas un rôle dans cette opération de lynchage qui les débarrasserait d’un obstacle majeur?

Ces questions seraient posées et peut-être même qu’elles trouveraient une réponse, avec une presse qui ferait son travail.

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Au sommaire de cette même édition de La Nation:
  • Le motu proprio du pape Benoît XVI sur la liturgie traditionnelle – Denis Ramelet
  • Pour le plaisir du WWF – Revue de presse, Ernest Jomini
  • Le Canton ou le parti? – Revue de presse, Ernest Jomini
  • Les Verts et l'aménagement du territoire centralisé – Félicien Monnier
  • Peuple et identité vaudoise sous la République helvétique – Michel Pahud
  • Bouclier antimissile américain en Europe: vers un affrontement avec la Russie? – Nicolas de Araujo
  • Sans complaisance – Le Coin du Ronchon