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«Ça relance le débat…»

Olivier DelacrétazEditorial
La Nation n° 1825 7 décembre 2007
Le meurtre d’une jeune fille commis par un soldat qui sortait de son école de recrue «relance, a-t-on entendu à la radio et lu dans les journaux, le débat sur l’arme à la maison». «Relancer le débat», la formule est consacrée. Chaque jour, les médias signalent un nouvel événement qui «relance le débat». Aujourd’hui c’est sur les armes à la maison, demain ce sera sur le célibat des prêtres, sur l’adoption homosexuelle, la fusion des polices cantonales ou l’adhésion à l’Union européenne.

Il est compréhensible qu’un événement grave ou significatif engendre un débat sur les principes qu’il met en jeu. Mais la formule est tendancieuse en ce que le débat n’est jamais relancé que dans un seul sens. Le fait que les prêtres dans leur ensemble assument pleinement leur voeu de célibat, ou que la majorité des ménages homosexuels ne désirent pas adopter d’enfant, ou que les polices cantonales réussissent de superbes coups contre la grande criminalité, tout cela ne «relance» jamais le moindre «débat». C’est que la relance n’irait pas dans la bonne direction! La réussite économique de la Suisse restée en dehors de l’Union européenne n’a pas relancé le débat sur l’adhésion et ses inconvénients. L’article fortement documenté et raisonné de notre ami Nicolas de Araujo (1) n’a pas «relancé le débat» sur les motifs politiques et militaires qui continuent de justifier que le soldat suisse conserve son arme à la maison.

Qu’une institution laisse apparaître la moindre faiblesse, voilà quelque chose qui «relance le débat». Qu’elle accumule les réussites, en revanche, cela ne relance rien du tout. Elles sont a priori jugées insignifiantes par rapport au seul critère qu’ils reconnaissent, celui du futur tel qu’ils se le représentent.

Le débat est piégé avant d’être relancé. Quels que soient les arguments échangés, sa conclusion est connue d’avance. «Tel événement relance le débat» ne signifie rien d’autre que «j’entrevois une ouverture en direction de la conclusion à laquelle on finira par arriver tôt ou tard»: l’accession des femmes à la prêtrise, la filière scolaire unique, la fusion des cantons…

La formule est utile en ce qu’elle nous éclaire sur les automatismes de pensée propres à notre société. Il y en a d’autres, comme «aujourd’hui on ne peut plus…», ou encore «qu’on le veuille ou non…», qui toutes présentent cet avantage que le débat n’a plus besoin d’être fondé en arguments, mais juste d’être relancé dans la bonne direction.

«On ne peut plus tolérer des maîtresses enfantines non universitaires»; «qu’on le veuille ou non, la séparation de l’Eglise et de l’Etat n’est qu’une affaire de temps»; «nous n’éviterons plus longtemps l’intégration de l’armée suisse à l’OTAN»: ceux qui raisonnent ainsi ont à la fois raison et tort. Ils ont raison en ce qu’il mettent en lumière la mécanique qui, si on la laissait agir, nous conduirait effectivement là où ils disent que nous allons. Mais ils ont tort, comme l’homme qui déduirait de la certitude de sa fin prochaine que le plus raisonnable est de se coucher sans résister, voire de hâter le terme. Et ils ont même d’autant plus tort que les communautés politiques ont une capacité de survie, voire de renaissance, que ne connaît pas l’individu.

Généralement prononcées sur un ton triomphant, ces formules ne sont en fait que le constat veule et impuissant des pesanteurs qui nous accablent.

Personne n’échappe totalement aux préjugés égalitaires et unitaires de notre époque. Même ceux qui s’y opposent théoriquement sont tentés d’accepter l’idée d’un futur tout tracé. Simplement, ils en inversent la signification. Ils cultivent l’amère satisfaction de savoir que notre monde court au désastre et de constater à chaque étape de cette course à quel point ils ont raison…

Ils ont tort! Les réalités demeurent, sous les «débats» qui les nient. Les principes qui les meuvent sont permanents, même s’ils ne sont pas toujours facilement perceptibles. Ces réalités et ces principes doivent être défendus avec d’autant plus de combativité qu’ils sont plus menacés. C’est vrai pour l’arme à la maison, c’est vrai pour l’école vaudoise et pour toutes les institutions sur lesquelles on ne cesse de «relancer le débat». Il faut refuser cet écrasement du présent par un futur encore à faire.


NOTES:

1) «Les militaires suisses doivent conserver l’arme à domicile, n’en déplaise aux hypocrites», La Nation No 1809, 27 avril 2007.

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Au sommaire de cette même édition de La Nation:
  • Lumières du Nord – Daniel Laufer
  • Les misères de Dignitas – Georges Perrin
  • Le mâle, c'est mal – Jacques Perrin
  • Agitation présidentielle – Revue de presse, Philippe Ramelet
  • Du caprice de Marianne à l'appétit de Josef – Revue de presse, Philippe Ramelet
  • Des armes – Nicolas de Araujo
  • Juvenilia LXXXIII – Jean-Blaise Rochat
  • Un article constitutionnel supplétif? – Antoine Rochat
  • «Ecole 2010» et la censure – Jean-Blaise Rochat
  • † Germaine Cornaz – Rédaction
  • 100% zéro Z – Le Coin du Ronchon