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Initiative «Monnaie pleine»: qui crée l’argent?

Denis Ramelet
La Nation n° 2094 13 avril 2018

Jusqu’il y a quelques années seulement, l’auteur de ces lignes croyait – il lui semble même avoir entendu cela sur les bancs de l’université – que les banques commerciales (ou privées) ne font que prêter l’argent que les épargnants déposent auprès d’elles: les épargnants prêtent l’argent aux banques commerciales qui le prêtent à leur tour à leurs clients (crédit commerciaux aux entreprises, crédits hypothécaires, etc.). Ainsi, les banques commerciales se contenteraient de faire circuler l’argent créé par la Banque «nationale» suisse (BNS), avec un effet multiplicateur dû à la répétition des séquences dépôt – prêt.

C’est ce que presque tout le monde croit. Et c’est ce que nous lisons encore sous la plume de M. Samuel Bendahan, dans un récent numéro du trimestriel socialiste Pages de gauche contenant un dossier sur (et contre) l’initiative «Monnaie pleine», sur laquelle nous voterons le 10 juin:

«Contrairement à la BNS, les autres banques ne peuvent pas créer d’argent à partir de rien. […] Si vous déposez 1000 frs à la banque, celle-ci utilisera une partie de cet argent et le prêtera à d’autres personnes.»1

Pourtant, nous lisons à la page précédente du même numéro de Pages de gauche, sous la plume de M. Mathieu Gasparini:

«Aujourd’hui, la création monétaire par les banques privées via le crédit constitue plus de 90% de la masse monétaire (le reste étant les billets et les pièces [émis par la BNS]).»2

Alors, qui a raison? M. Gasparini au recto ou M. Bendahan au verso? Il semble que ce soit M. Gasparini, pour les raisons indiquées par deux autres auteurs. Il s’agit d’abord de M. Sergio Rossi, professeur de macroéconomie et d’économie monétaire à l’Université de Fribourg, seul partisan (non sans hésitations) de l’initiative «Monnaie pleine» à s’exprimer dans le numéro de Pages de gauche:

«L’initiative […] met en lumière un élément essentiel, à savoir que les banques sont à l’origine de l’émission de monnaie par les crédits qu’elles octroient à n’importe quel acteur économique. Et elles le font sans qu’il y ait au préalable de dépôt bancaire pour financer ces crédits. Ce ne sont donc pas les dépôts qui financent le crédit, mais le crédit qui donne lieu à des dépôts bancaires.»3

Il s’agit ensuite, dans Le Temps cette fois, de M. Yves Mirabaud, président de la Fondation Genève Place Financière et opposant à l’initiative «Monnaie pleine»:

«Actuellement, les banques commerciales peuvent créer elles-mêmes de la monnaie scripturale, laquelle représente près de 90% de la masse monétaire, le reste étant constitué des pièces et billets mis en circulation par la BNS. Ainsi, lorsqu’elles octroient un crédit à un client, les banques inscrivent le montant correspondant à l’actif de l’emprunteur et comptabilisent chez elles un engagement, ce qui revient à créer de la monnaie scripturale.»4

Ainsi donc, un consensus semble se dégager aujourd’hui pour reconnaître que, contrairement à ce qu’on a cru pendant longtemps, la création monétaire par les banques commerciales va bien au-delà du simple effet multiplicateur dû à la répétition des séquences dépôt – prêt.

Actuellement, seule la BNS a le droit de créer de la monnaie fiduciaire (pièces et billets). L’initiative «Monnaie pleine» propose d’étendre le monopole de la BNS à la création de monnaie scripturale (écritures comptables) et donc de transformer assez profondément le rôle et le fonctionnement tant de la BNS que des banques commerciales.

D’ici la votation, La Nation reviendra plus en détail sur le texte de l’initiative «Monnaie pleine», les implications concrètes qu’elle aurait et ce qu’il convient d’en penser.

Notes:

1  Samuel Bendahan, «L’argent, c’est quoi?», Pages de gauche, numéro 166, hiver 2017-2018, p. 12.

2  Mathieu Gasparini, «Les insuffisances de “Monnaie pleine”», Pages de gauche, numéro cité, p. 11.

3  Sergio Rossi, «L’initiative en débat», Pages de gauche, numéro cité, p. 14.

4  Yves Mirabaud, «Initiative “Monnaie pleine”: ne jouons pas aux apprentis sorciers», Le Temps, 18 mars 2018 (www.letemps.ch/economie/initiative-monnaie-pleine-ne-jouons-aux-apprentis-sorciers).

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