Identification
Veuillez vous identifier

Mot de passe oublié?
Rechercher


Recherche avancée

La poésie de Sylvoisal

Lars KlawonnLa page littéraire
La Nation n° 1984 10 janvier 2014

Le Chant du Malappris1 de Sylvoisal se situe à des années lumières de la poésie en vers libre. Elle ne se contente pas du bruissement du vent dans les feuilles. C’est déjà en soi, il me semble, un exploit qui mérite d’être mentionné. Le poète éprouve ici le besoin vital de produire du sens par et grâce à la contrainte de la rime et du rythme, d’être compréhensible sans pour autant lâcher du lest quant à la complexité. Exprimer la profondeur de l’homme par des vers réguliers, voilà le programme. Rien que des vers classiques, des alexandrins, des décasyllabes, des octosyllabes, des sixains, des quatrains. Cette poésie est faite pour être récitée comme l’étaient les épopées du Moyen Age. A la grande variété des formes poétiques, le Festin du Diable2 répond par une unité formelle unique et rigoureuse, à savoir le distique. Dans la préface, l’auteur précise que son recueil, mieux que tous les manuels de théologie, sert à faire apprendre au lecteur «tout ce qu’il doit savoir pour mériter le ciel avant sa mort et éviter l’enfer». Si les gens ne savent plus lire la Bible, c’est que la théologie moderne les a éloignés de l’accès direct. D’aucuns pensent que pour savoir la lire, on doit faire des études. Sylvoisal nous rappelle que sa poésie est simple et puissante. Tout le monde peut lire la Bible. Il y trouvera par lui-même réponse à toutes les questions essentielles de la vie. Notons aussi que l’Evangile n’est pas la seule inspiration de la poésie de Sylvoisal. Elle se nourrit aussi de la mythologie grecque, des Chansons de Geste, de Perrault, de Baudelaire et de bien d’autres sources littéraires.

C’est une poésie chrétienne dans le sens où le poète donne aussi voix au péché: Je trempe mes doigts / Dans tous les bénitiers / Et j’augmente ma foi / En comptant mes péchés. Mais pourquoi donner voix au péché? Parce que nous vivons à une époque où le mal est nié. Obnubilé par une maladive obsession de faire le bien à tout moment, l’homme nouveau ne voit plus le mal. Il a oublié, il refuse de savoir que, dans une société, tout est possible, même le pire. La poésie de Sylvoisal nous rappelle que le pire est inhérent à la nature humaine. Il nous rappelle qu’à force de nier le mal, on supprime toute mise en garde contre le mal qui avance alors totalement librement car non identifié.

Devrai-je un jour gagner ma vie/Dans le commerce ou l’industrie/Au lieu de la donner, ma mie/Pour Dieu, le roi et la patrie? Ce vers issu du long poème d’ouverture donne le ton. Notre poète est un ancien guerrier oublié par le nouveau monde, qui se souvient de ses péchés. Des péchés de la chair surtout. Il est question de la violence des corps. Corps nus; corps torturés; il est question de l’excès du plaisir, de la tyrannie du désir: Dans des chambres bien closes / Où les bruits s’étouffaient / Je marquais d’ecchymoses / Les chairs qu’elles montraient. Le poète n’a peur de rien. S’il affronte la luxure, le blasphème, l’amour vénal, le sadisme et bien d’autres choses encore, ce n’est pas pour s’y complaire. Il sait que pour chasser les démons, il faut les connaître, les voir, les toucher du doigt.

Dans cette poésie, le bien et le mal se livrent bataille à un niveau rarement atteint. Le poète oscille constamment d’un extrême à l’autre. Il tremble, il brûle. Il est dans l’intimité du mal en même temps qu’il célèbre la souffrance et le sacrifice, les seuls moyens de rémission et de salut. Les bien-pensants n’arrêtent pas de nous dire que tout le monde est aimé et que l’amour rapproche les hommes. Ils ont tort. La seule chose qui rapproche les hommes est la souffrance.

Sylvoisal travaille au plus près de la tension entre l’âme et le corps. Ici, point de réconfort intellectuel; point de vaine quête de l’unité de l’homme dans l’harmonie et dans la paix. La seule unité de l’homme est celle de son antagonisme du bien et du mal. La tragédie humaine, c’est qu’il est déchiré. Son conflit moral est insoluble. Une seule chose à faire: sortir du monde, souffrir, créer, devenir chaste et humble. Pour libérer l’homme, on doit le briser. On doit briser en lui ce qui est du démon. Le poète le sait. C’est qu’il a Loué le Dieu vivant / Qui a fait notre coeur / Non pas pour le bonheur / Mais pour vaincre Satan!

Qui est ce malappris? Il n’est ni théologien, ni philosophe, ni scientifique, ni intellectuel, ni universitaire, ni même littéraire. Il ne sait rien, ne veut surtout rien savoir. La formation continue, pour lui, ça ne veut rien dire. Le malappris est cet être qui ne veut rien savoir de la vanité et de l’hypocrisie du monde. Il demeure attaché à ce qu’il connaît et qu’il a connu. Il sait une chose et ça lui suffit largement, ça suffit largement à son malheur. Il sait que toute nouveauté, tout changement est un pas vers l’abîme du monde, le même que les naïfs appellent le progrès. Quand je sors de ma tour d’ivoire / Pour regarder autour de moi / Je vois s’en aller notre histoire / Nos arts, nos armes et nos lois. Il aime, il a aimé, il a chanté, il a fait la guerre. Il a péché. Il a confessé. Il a vécu. Le malappris de Sylvoisal est un poète-soldat, traversant le pays avec sa lyre et son épée, chanteur des madrigaux, pécheur et lutteur contre le mal. Il est insoumis, prophète, martyr; il ne travaille pas; il ne va pas chez le psy, il n’est pas homme d’affaires; il est guerrier, honnête homme, il donne sa vie à la foi, à l’honneur, à la patrie. Mais il constate: A petit feu s’éteint la foi / La fraise pourrit dans les bois / Et le serpent s’enroule, froid / Autour de l’arbre de la Croix.

Le Christ non plus n’a rien voulu savoir du monde. Il n’avait pas besoin de conseillers en communication. Il n’avait pas besoin de savoir ce que le monde pense. Il n’a écouté personne. Il est venu apporter son message et livrer bataille par sa parole et par ses actes. Il est mort sur la Croix sans se retourner une seule fois, sans dévier d’un pouce de sa mission. C’est un malappris par excellence dans le sens où il ne voulut ni plaire ni déplaire, le contraire donc d’un homme du monde.

Notes:

1 Sylvoisal, Le Chant du Malappris, L’Age d’Homme, Lausanne, 2011.

2 Sylvoisal, Le Festin du Diable, Le Cadratin, Vevey, 2013. A lire aussi: Contre la démission des poètes de Chaunes et Sylvoisal, L’Age d’Homme, Lausanne, 2009.

Vous avez de la chance, cet article est en accès public. Mais La Nation a besoin d'abonnés, n'hésitez pas à remplir le formulaire ci-dessous.
*


 
  *        
*
*
*
*
*
*
* champs obligatoires
Au sommaire de cette même édition de La Nation: