Identification
Veuillez vous identifier

Mot de passe oublié?
Rechercher


Recherche avancée

L’éducation en Suisse, rapport 2010

Marc-Olivier Berthoud
La Nation n° 1887 23 avril 2010
La Confédération et les cantons ont délégué au Centre suisse de coordination pour la recherche en éducation (CSRE) le soin de réaliser le premier Rapport sur l’éducation en Suisse1.

Les 316 pages du rapport condensent une quantité impressionnante de travaux de recherches, d’études statistiques et comparatives couvrant l’éducation en Suisse. Celle-ci comprend l’ensemble des offres de formations publiques et privées, de l’école obligatoire au degré tertiaire (universités, HES, formation en emploi et continue).

Les données statistiques sont passées au crible de trois critères: l’efficacité, l’efficience et l’équité.

La notion d’efficacité nous semble problématique, car elle se fonde sur la mesure d’objectifs qui sont soit quantitatifs – le nombre de diplômes obtenus – soit qualitatifs – la transmission de compétences ou la satisfaction des «apprenants». Ces objectifs sont liés à l’orientation idéologique des personnes qui les définissent. Ainsi, les objectifs prioritaires du concordat HarmoS2 sont «l’acquisition de connaissances et de compétences, le développement d’une identité culturelle et l’apprentissage de comportements responsables vis-à-vis d’autrui et de l’environnement». Pour les rédacteurs du rapport, «l’une des tâches principales de l’éducation consiste à transmettre des compétences disciplinaires et sociales».

Quels sont donc les critères permettant d’identifier les compétences fondamentales? Les auteurs du rapport reconnaissent les limites d’un processus d’évaluation permettant de répondre «de manière scientifique» à cette question. Nous regrettons dès lors qu’ils se réfèrent néanmoins à la documentation officielle et aux études existantes traitant de la question, documents pourtant confrontés au même problème.

L’efficience mesure l’efficacité en terme de moyens. On pourrait parler de productivité éducative sur des objectifs directs, indirects ou techniques, tel le nombre d’heures ou de professeurs nécessaires pour atteindre un objectif.

Cette question pose également problème. L’efficience est en effet fortement liée au contexte éducatif général, à la structure du parcours scolaire, au niveau d’exigence des professeurs, voire au degré d’homogénéité des classes. Par ailleurs, le concept d’efficience sous-entend qu’une bonne allocation des ressources permettrait une «production d’acquisition de compétences» optimale.

Bien que les rédacteurs reconnaissent les limites théoriques et pratiques d’une telle analyse, nous aurions souhaité les voir aller au bout du raisonnement en montrant l’absurdité de cette conception mécaniste de l’élève, ressource interchangeable qui, si l’on fournissait les bons stimuli ou input, pourrait «produire son potentiel théorique maximum» (output, outcomes)3.

Enfin, l’équité, qui exprime «la volonté d’offrir à tous les mêmes opportunités» et «de ne laisser personne au bord de la route», analyse le parcours éducatif par rapport à l’origine sociale, le statut migratoire et le sexe.

Les auteurs soulignent que la question de l’équité n’est pas exempte de subjectivité et mentionnent les controverses doctrinales entre les partisans de l’égalité d’accès, ceux de l’égalité de traitement ou encore de l’affirmative action. Ils relèvent heureusement que des inégalités dans la répartition, par exemple la faible proportion féminine dans des métiers traditionnellement masculins, ne constituent pas a priori un manquement au principe d’équité.

A ce stade, nous pourrions rentrer dans une analyse détaillée des différentes filières du système éducatif suisse. Telle n’est cependant pas notre intention. Nous pensons plus pertinent d’exposer brièvement certains aspects de l’étude que nous aurions plutôt pensé trouver dans La Nation que dans un rapport fédéral.

La mobilité par exemple. Nous citons: «Il est plutôt rare que les gens déménagent sur de grandes distances en Suisse, de sorte que les changements de domicile ne touchent guère les enfants en âge de scolarité.» La statistique évalue à 5% les enfants changeant de canton durant leur scolarité obligatoire. Les lecteurs de La Nation se souviennent que la mobilité a été l’un des arguments majeurs de la campagne des partisans de HarmoS. Lire dans un rapport fédéral un argument qui met à mal ce concept n’est pas sans nous faire sourire.

L’échec scolaire est-il le drame d’une vie? Pas du tout, nous dit le rapport. Dans un système à filière où le niveau de l’élève est correctement évalué, celui qui redouble pour passer dans une filière supérieure augmente en moyenne considérablement ses chances d’accéder à une formation supérieure.

Une forte hétérogénéité dans les classes favorise-t-elle l’éducation et l’acquisition du savoir-être? Pas tout à fait non plus, à moins d’en payer le prix, c’est-à-dire de fournir un enseignement différencié et individualisé aux élèves. En clair, beaucoup plus de professeurs dans un contexte où les budgets scolaires sont concurrencés par des demandes provenant de l’aide sociale.

Les jeunes et très jeunes consomment du tabac et de l’alcool. Ce n’est pas bien. Mais nous sommes un peu rassurés d’apprendre que cette consommation, contrairement à la celle des drogues «douces ou dures», n’engendre pas nécessairement des répercussions néfastes sur les résultats scolaires. Le cannabis est quant à lui reconnu comme provoquant des troubles de l’attention et de la concentration. Il réduit les facultés motrices et détériore la mémoire à court terme, de même que les perceptions. Néanmoins, les statisticiens ne se prononcent pas quant au lien entre consommation de cannabis et mauvais résultats scolaires.

Alors que la politique éducative considère que tous les élèves, quel que soit leur sexe, peuvent atteindre des performances égales dans toutes les matières scolaires, y a-t-il dès lors inéquité si les statistiques indiquent des différences constantes (par exemple un taux de maturité gymnasiale chez les hommes de 15,8% contre 22,8% chez les femmes)? Les connaissances actuelles, nous dit-on, ne permettent pas de répondre à cette question, mais le bureau de l’égalité a encore du pain sur la planche.

Le taux de maturités gymnasiales et professionnelles est relativement faible en Suisse4, ceci pour deux raisons. Premièrement, nous disposons d’un système de formation professionnelle d’excellente qualité où l’apprenti s’instruit tout en pratiquant son métier, alors que l’apprenti allemand, par exemple, «s’exerce». La seconde raison est que la sélection se fait dès le gymnase, ce qui permet aux élèves d’accéder aux formations supérieures sans examens préalables, un fait exceptionnel en comparaison internationale.

Cette sélection n’est cependant pas toujours faite selon des critères objectifs. Ainsi, des études ont permis de montrer que dans les cantons présentant les taux de maturités les plus élevés, la performance des élèves dans les disciplines testées est moins bonne que celles d’élèves provenant de cantons ayant des taux de maturités moindres. Les rédacteurs n’ont pas recherché un lien éventuel entre ce constat et celui des professeurs d’université qui s’affligent des lacunes de nombreux élèves dans leur langue maternelle, en mathématiques, ainsi que dans l’expression écrite, l’esprit critique et la capacité de travailler de manière autonome. Notons encore qu’aucune mention n’est faite d’une corrélation possible entre la couleur politique des chefs cantonaux de l’éducation et la décision d’assouplir les conditions d’obtention de la maturité.

Gourmands, les auteurs du rapport présentent un «intéressant problème d’efficience» relatif au processus de sélection du Gymnase vaudois. Plus de 35% des élèves du Canton de Vaud obtenant leur Certificat d’études secondaires rejoignent chaque année la filière du gymnase, un chiffre supérieur à la moyenne suisse. Alors que les autorités scolaires constataient un taux de redoublement important durant la 1re année, elles ont modifié (lire: assoupli) en 2001-2002 le règlement de promotion. Cette modification n’a pas eu les effets escomptés. Non seulement le taux de redoublement au début du gymnase n’a pas diminué, mais il a – fait totalement nouveau – augmenté durant l’année de maturité.

Pour reprendre les mots du rapport, «il apparaît ainsi que l’assouplissement du règlement de promotion a déplacé le taux d’échecs vers la dernière année et sensiblement accru le nombre des élèves qui ne réussissent pas les examens de maturité du premier coup et quittent le gymnase sans certificat. Du point de vue de l’efficience, la situation est pire qu’avant 2003». Nous ne pouvons que souscrire à cette conclusion.

En 2000, la bougeotte de Bologne gagne la Suisse. Les auteurs relèvent que 87% des étudiants qui terminent leur bachelor poursuivent leurs études avec un master. Ne serait-ce pas un grave manquement aux principes d’efficience, d’équité ou d’efficacité, que ce prolongement des études d’une année supplémentaire par rapport à l’ancien régime universitaire? Parmi les étudiants de master, seuls 10% étudient dans une autre école que celle où ils ont obtenu leur bachelor, le rapport ne précisant pas la proportion de ceux qui partent à l’étranger poursuivre leurs études.

La question de la mobilité physique reste donc un thème bien présent, même si le rapport reconnaît la pertinence toute relative de cet aspect au niveau de l’école obligatoire. Les formations professionnelles, dont l’excellence est reconnue, sont également remises en question au regard de la mobilité professionnelle, car l’on est moins assuré aujourd’hui d’exercer le même métier toute sa vie. Cependant, lorsque les goûts, la clientèle ou les habitudes changent, les professions s’adaptent aux nouvelles conditions du marché. Une réalité connue déjà du temps de l’école de grand-papa.

Le rapport 2010 sur l’éducation en Suisse nous brosse un tableau somme toute encourageant de notre système éducatif. Il contient néanmoins de nombreux biais idéologiques. Par exemple, cette vision à vocation totalitaire qui s’offusque que certaines catégories de personnes s’obstinent à choisir leur domaine d’études en fonction de leurs intérêts propres, ou que certaines formations professionnelles persistent à rester «sexospécifiques».

Nous pourrions également relever que les Hautes écoles pédagogiques (même degré que les HES) disposent d’un chapitre entier; ou disserter sur les considérations matérialo-hédonistes de la relation entre études et bonheur, santé, prospérité, fiscalité, tout en nous étonnant que l’amour ne soit pas évoqué, vu un tel étalage.

Nous regrettons que les rédacteurs, bien que donnant un compte-rendu honnête des faits, n’arrivent pas à se libérer de l’idéologie égalitaire en matière éducative et pédagogique. Si toute démarche statistique se base sur des données mesurables, le résultat ne donne rien de plus que chiffres et unités de mesure. Ce n’est que l’interprétation de ces données qui permettra de leur donner du sens. Face à l’écueil de la subjectivité, les rédacteurs suspendent leur jugement, lorsqu’ils ne reprennent pas à leur compte l’idéologie des autorités pédagogiques plutôt que d’arriver à des conclusions raisonnables, à la lumière des faits qu’ils rapportent.

Le rapport ne se prononce pas non plus sur la qualité des méthodes pédagogiques appliquées ni sur leur efficacité, préférant se perdre en arguties de «la poule ou l’oeuf». La question fondamentale des «compétences» – nous dirions: connaissances – à transmettre aux élèves est évacuée dès les premières pages.

Enfin, soulignons que ce rapport va dans la droite ligne de l’art. 62 al. 4 de la Constitution fédérale qui déplace le pilotage, la gestion, la coordination de l’éducation, prérogatives essentiellement cantonales, au niveau fédéral.

Si le rapport 2010 sur l’éducation en Suisse nous apprend beaucoup et nous dresse un portait attrayant de notre système éducatif, nous pouvons craindre qu’il soit une sape centralisatrice utilisée à l’encontre de l’autonomie des cantons.


NOTES:

1 Le rapport, au prix de CHF 60.–, se commande auprès du Centre suisse de coordination pour la recherche en éducation, http://www.skbf-csre.ch/141.0.html?&L=1.

2 Le concordat HarmoS, entré en vigueur le 1er août 2009, est rejeté au moment de la rédaction du présent article par six cantons, http://www.edudoc.ch/static/ web/arbeiten/harmos/liste_rat_df.pdf.

3 La notion d’«outcomes éducatifs» nous provient d’outre-Atlantique. Elle considère que l’éducation n’a pas pour seul but de transmettre des connaissances à l’élève mais doit également le former – on pourrait parler du «façonnement global correct de l’élève» – dans le but de son intégration parfaite dans un tissu social homogène.

4 Le taux de maturités, sésame permettant l’accès aux hautes écoles, est de 31% en Suisse. Il est de 40% en Allemagne, 51% en France et 76% en Italie.

Vous avez de la chance, cet article est en accès public. Mais La Nation a besoin d'abonnés, n'hésitez pas à remplir le formulaire ci-dessous.
*


 
  *        
*
*
*
*
*
*
* champs obligatoires
Au sommaire de cette même édition de La Nation: