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† Jean Delacrétaz

Jean-François Cavin
La Nation n° 1891 18 juin 2010
M. Jean Delacrétaz inspirait le respect à tous égards: par la compétence du scientifique, la finesse du praticien, l’autorité du professeur, la hauteur de vue et la capacité de décision du doyen et du recteur, le sens éclairé du service en mainte autre fonction. Et tout cela tenait à une remarquable acuité de l’esprit; chez lui, l’analyse et la synthèse, pour être des mouvements distincts de l’intellect, étaient immédiatement liés, s’accomplissant quasi simultanément, avec une rare promptitude, et s’exprimant en un jugement aussi sûr que concis: une phrase, un seul mot même, et tout était dit.

Dans un groupe de travail privé qui, à la fin des années 1960, préparait autour de M. Dominique Rivier l’avenir de l’Université et la loi qui la régirait, quelques professeurs d’expérience et de talent débattaient abondamment des problèmes les plus délicats; l’ancien recteur Delacrétaz était le moins loquace d’entre eux; mais lorsqu’il émettait une brève observation, la question discutée était définitivement réglée.

Certains ont pu ressentir cette manière parfois tranchante comme la marque d’une sévère intransigeance. Il semble que ses étudiants tenaient l’examen de dermatologie pour un des plus angoissants. Mais ils disent aussi que le professeur Delacrétaz leur proposait une méthode de diagnostic claire et éprouvée, reposant sur une méticuleuse observation de l’affection, dont ils suivent encore les principes trente ans plus tard dans leur pratique quotidienne. Ils relèvent que ce patron redouté à certains égards était aussi très attentif à la promotion des futurs cadres de son service; certains chefs rabaissent leur entourage pour garder la haute main; le professeur Delacrétaz, au contraire, élevait ses disciples au meilleur niveau.

Le recteur Delacrétaz a ouvert son mandat, en 1964, par un discours du Dies academicus qui fit sensation. C’était l’époque où la quasi totalité des milieux politiques, tant fédéraux que cantonaux hélas, et du monde académique réclamaient une aide fédérale aux universités, au mépris du fédéralisme et au risque de porter atteinte au caractère propre de chaque université, si lié aux diverses cultures cantonales. M. Delacrétaz, à peu près seul contre tous, s’éleva vigoureusement contre cette tendance, démontrant implacablement que, les cantons universitaires étant des grands cantons, ou des cantons riches, ou les deux à la fois, c’est d’eux mêmes que provenait en réalité l’essentiel de l’argent fédéral et qu’ils perdraient leur liberté sans même augmenter leurs moyens financiers potentiels. Il fallait voir la tête des politiciens qui mitonnaient le plat de lentilles… La Confédération a tout de même légiféré et subventionné, mais sans beaucoup régir pendant longtemps. On doit sans doute cette retenue à la trempe d’hommes tels que MM. Jean Delacrétaz et Dominique Rivier.

Absorbé par la politique universitaire et des fonctions qui lui étaient liées même après son rectorat, ainsi que par son enseignement et sa pratique, M. Jean Delacrétaz a pourtant trouvé la force de rendre d’autres services à la communauté, soit dans sa discipline comme président de la Société suisse de dermatologie, soit pour le bien du patrimoine vaudois comme président de la Fondation de Romainmôtier.

Outre ses publications scientifiques, il a contribué aux Cahiers de la Renaissance vaudoise par deux ouvrages, L’Université et le Pouvoir (1977) et La médecine entre deux barbaries (1979), ainsi que par un article des deuxièmes Contrepoisons, Actualité du serment d’Hippocrate (1984). On relit ces écrits avec profit aujourd’hui encore, car l’auteur va à l’essentiel; on les relit aussi avec plaisir pour rester en compagnie de M. Jean Delacrétaz, car le style c’est l’homme: clarté de la pensée, ton direct, nulle place pour de médiocres tergiversations entre le vrai et le faux; et en même temps le sens de l’humour, le goût badin du paradoxe et du cocasse, le rappel plaisant des succès de la médecine magique (ah! la description minutieuse des méthodes surnaturelles de lutte contre les verrues, dont il savourait l’incompréhensible efficacité!). On voit cette lueur d’amusement qu’il avait dans le regard.

Nous présentons nos pensées de sympathie à Mme Delacrétaz, à ses enfants et petits-enfants, en particulier à notre président Olivier Delacrétaz et à nos amis Guy Delacrétaz et Benoît Meister, et nous honorerons son souvenir.

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