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Un parti opposé à l’armée n’est pas à sa place au gouvernement fédéral

Olivier DelacrétazEditorial
La Nation n° 1902 19 novembre 2010
Les socialistes conçoivent l’histoire comme un progrès général de l’humanité. Cette marche en avant subit parfois des coups de frein, des détours, voire des retours en arrière; elle n’en est pas moins inéluctable: tôt ou tard, le capitalisme sera dépassé au profit d’un régime universel, rationnel et pacifique. Révolutionnaires et réformistes en sont d’accord et ne diffèrent que sur les moyens à utiliser pour opérer ce fameux dépassement du capitalisme.

Pour les révolutionnaires, le système bourgeois, oppressif à l’intérieur, impérialiste à l’égard des Etats voisins, est irréformable. il retombe toujours sur ses pieds et arrive à faire de l’argent dans n’importe quelle situation. Seule une révolution violente peut y mettre fin. Il faut concéder aux révolutionnaires qu’ils sont clairs sur leurs buts et leurs moyens. Ils ne craignent pas d’être haïs, marginalisés ou persécutés, car ils se considèrent comme la lumière et, s’il le faut, comme le combustible de l’Histoire. Il y a, dans toute idéologie, un fond de religion pervertie.

Les réformistes jugent au contraire possible de coopérer avec les partis bourgeois, notamment dans le cadre de la paix du travail. Ils participent au gouvernement et soutiennent l’armée, il est vrai du bout des doigts. «Collaboration de classe», «complicité objective», dénoncent les révolutionnaires. «Réalisme» et «responsabilité», répondent les réformistes.

La collaboration des socialistes à une société capitaliste dont ils contestent la légitimité est une bonne chose, notamment dans les relations entre partenaires sociaux. Elle impose bien sûr aux élus socialistes et aux chefs syndicaux de refouler leur idéologie dans un coin de leur conscience. Ils le font plus ou moins sincèrement.

Mais refouler n’est pas supprimer. L’idéologie reste prête à ressortir de sa boîte à la moindre occasion.

Pour les socialistes, comme pour tout idéologue, d’ailleurs, leur idéologie est d’abord un asile protecteur. C’est un monde d’évidences d’où les incertitudes sont bannies et où la réalité se plie aux discours. C’est une chambre pleine de jouets colorés, où les méchants et les gentils sont clairement identifiés. Le parti y revient à chaque fois qu’il se sent faible. Quand il est déchiré par des rivalités internes, par exemple, une plongée dans l’idéologie lui permet de sauver son unité en attribuant la responsabilité de ses conflits à un ennemi extérieur, les partis bourgeois, les patrons, les banquiers, les multinationales. En période de crise politique, financière ou électorale, quand le réel semble échapper à la volonté et même à l’analyse, le simplisme sans faille du discours idéologique vient à point pour colmater les doutes existentiels et empêcher les troupes de désespérer.

L’idéologie refait aussi périodiquement surface à travers les jeunes du parti, dont l’expérience n’a pas encore ébranlé les certitudes et la pureté. Ces jeunes gens secouent le cocotier et rejettent comme autant de compromissions inadmissibles les arrangements avec les partis bourgeois et les conventions collectives passées entre les syndicats et les patrons. C’est ce qui s’est passé lors du dernier congrès du parti. Sous la pression des jeunesses socialistes, le parti est docilement revenu à ses fondamentaux: suppression de l’armée, dépassement du capitalisme, revenu minimum garanti, caisse maladie unique, droit de vote à seize ans.

Tout en haut du cocotier, les vieux singes sont déchirés: d’un côté, il y a des acquis sociaux à défendre, des positions politiques à tenir, sans doute aussi des places confortables et des visées électorales à préserver; de l’autre côté, il y a l’idéologie. Or, sur ce point-là, les vieux singes sont bien obligés d’être d’accord avec leurs accusateurs. Alors, pour ne rien perdre, ils font le grand écart. Ils rédigent des communiqués ménageant la chèvre et le chou. Le président Levrat se répand dans la nature et les médias pour expliquer que les socialistes ne veulent pas supprimer l’armée tout de suite, qu’il s’agit d’une vision à long terme (long terme, que de contradictions n’a-t-on pas esquivées en ton nom!), une vision qui a d’ailleurs toujours fait partie de leur programme. En un mot, rien n’a changé, ce qui fait – là est évidemment l’essentiel – qu’il n’y a aucun motif de mettre en question la participation des socialistes au gouvernement fédéral.

La défense, notamment militaire, du pays est la tâche première de l’Etat. Concevoir non seulement l’organisation et le budget militaires, mais aussi l’ensemble de notre politique étrangère dans une perspective antimilitariste, même à long terme, c’est affaiblir dès à présent la souveraineté suisse. On ne traite pas de la même manière un Etat qui a les moyens de se défendre et celui qui s’annonce prêt à céder sans combattre au premier envahisseur venu. La lâcheté militaire révèle la lâcheté politique.

Certes, toutes les formations importantes, socialistes compris, ont leur place au Conseil fédéral. Certes encore, depuis 1989, date-clef de tous les lâchages, ce ne sont pas des socialistes, mais un démocrate- chrétien, Arnold Koller, un radical, Kaspar Villiger, deux UDC à l’ancienne, Adolf Ogi et Samuel Schmid, et un UDC nouveau style, Ueli Maurer, qui ont oeuvré au délitement de notre force militaire.

Il n’empêche qu’un parti qui désire collaborer au gouvernement fédéral doit impérativement reconnaître la légitimité de l’armée suisse. C’était vrai en 1935, quand les socialistes se sont ralliés au principe de la défense nationale – ralliement qui leur permit d’accéder au Conseil fédéral –, c’est vrai aujourd’hui et ça restera vrai tant qu’il y aura un territoire à défendre et des armées pour le menacer.

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