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On nous écrit: La Suisse des régions et le «sens de l’Histoire»

Marc-André Althaus
La Nation n° 1902 19 novembre 2010
L’émission de la TSR Forum du 16 septembre dernier était consacrée à la revendication par le demi-canton de Bâle-Campagne d’un deuxième siège au Conseil des Etats. Le débat était animé par M. Revaz, bouillonnant journaliste animateur de la RSR, qui veut faire mousser l'actualité mais ne voit pas qu'il en agite seulement l'écume. Les invités: un conseiller national de Bâle-Campagne, un conseiller d'Etat de Bâle- Ville, M. J. Clerc, ancien fonctionnaire chargé du Parlement fédéral et enfin un «politologue» vaudois bien connu et apparemment incontournable, voire omniprésent sur les ondes romandes: M. F. Cherix.

Cette émission a offert, une nouvelle fois, une tribune à M. Cherix pour étaler ses thèses concernant la modification des institutions politiques fédérales, et en particulier pour promouvoir l'idée d'un nouvel étage institutionnel restant à créer: les «régions» (suisses).

Le postulat de M. Cherix: le fait de regrouper des cantons (ou des parties de ceux-ci) contribuerait à les rendre (ainsi que la Suisse dans son ensemble bien sûr) mieux gouvernables, les cantons et les régions («surtout les agglomérations!» insistaient les deux Bâlois) étant mieux représentés au niveau fédéral.

Prospective: un découpage de la Suisse en «régions» (combien et selon quels critères?) rendrait celles-ci plus fortes. Soit! En poussant le raisonnement à l'extrême, pour que ces régions soient vraiment fortes, on pourrait en arriver, par fusions successives, à seulement deux entités: d'un côté la «Super-région Suisse romande» (avec ou sans le Jura bernois? la Singine? le Haut-Valais?... et le Tessin?) et, de l'autre côté, une seule «Super-région Zurich», avec Berne, éventuellement en «district-capitale». Au fait, ça ne vous fait pas penser un tout petit peu à la Belgique? Est-ce vers ce type de découpage et … d’impasse qu’on veut aller, ou plutôt qu’on veut nous mener? Encore plus extrême, afin d’être définitivement imbattable en force et en représentativité: la «Super-super région Züriland», comprenant l'ensemble du territoire fédéral et qui pourrait être, finalement, entièrement interchangeable avec notre Confédération.

Ça, ce serait de la représentativité «imbattable».

Pour quels scénarios? Des entités plus grandes risquent d’accroître les antagonismes entre toutes ces «régions» (toutes mieux «représentées» les unes que les autres), sans diminuer la somme des problèmes intra-régionaux.

Des arbitrages devraient être faits, au bénéfice de certaines parties, donc au détriment d’autres parties constitutives de la «région». Les régions deviendraient- elles plus riches que la somme des cantons qui les constitueraient?

Et si toutes les «régions» étaient «mieux représentées», il pourrait en résulter des antagonismes plus puissants, sans pour autant éviter la marginalisation de certaines parties.

Pour quels résultats? Le citoyen des cantons y gagnerait quoi au juste? A part l'éloignement des centres de décisions, ou alors la multiplication des couches institutionnelles, et certainement la surcharge des politiciens: à notre avis rien de concret. Rien de plus efficace et en tout cas rien de plus dynamique que ce qui existe déjà. M. Cherix, sagement contredit par M. Clerc qui gardait une vision moins éthérée du problème, invoqua alors, inspiré et péremptoire, le «sens de l'Histoire»... rien que ça!

Il se servait aussitôt des exemples de la multiplication des collaborations entre Vaud et Genève dans les années suivant le refus par le peuple de la fusion de ces deux cantons. Et si c'était justement, à côté bien sûr des nécessités de l'époque, parce que nous avons bien deux cantons souverains, maîtres de leurs capacités financières et à nouveau ragaillardis, que cette étroite collaboration était à nouveau fructueuse? Prenant exemple sur le développement de l'Arc lémanique (à l'exclusion de l'arrière-pays?), sur le rapprochement de l'Arc jurassien (associer deux ou trois canards boiteux n'a jamais donné naissance à un aigle), M. Cherix se montrait très satisfait de lui-même, mais un peu court dans la réflexion.

Nos concitoyens «régionalisés» deviendraient-ils plus intelligents, les travailleurs moins stressés? Nos banques plus sages, l'énergie moins coûteuse? Nos villes plus sûres et moins bruyantes, la viande plus tendre?

Le fameux «sens de l'Histoire»: que je sache, les pays Baltes n'ont pas demandé un nouveau rattachement à la Russie, et pas davantage à la Pologne ou à la Finlande pour être «plus forts» dans l'UE. Quant aux exemples donnés par les tchèques et les Slovaques ou par les Balkans, ils illustrent bien que le fameux «sens de l'Histoire» ne va pas toujours dans une seule direction. Qui a dit Irlande, Catalogne ou Corse, pour ne parler que de l’Europe occidentale?

Vous avez dit «sens de l'Histoire»? En tout cas deux personnages ont laissé des traces dans celle du XXe siècle. Anciens alliés, ils ont poussé leur peuple à marche (...ou crève) forcée dans le «sens de l'Histoire» mais dans des directions devenues opposées. L'un avait une grande mèche et une petite moustache et l'autre avait une grande moustache et une casquette garnie d'une étoile rouge.

La Suisse, entité politique multiséculaire (qui dit mieux en Europe?), s'est construite essentiellement sur la volonté d' Etats souverains façonnés par l'histoire, la géographie et l'économie. Ils se sont alliés progressivement dans un intérêt commun. Avec, à la base, l'idée simple de pouvoir exister et s'administrer, et pas d'être avalés ni dissous. La préoccupation majeure prévalant depuis longtemps, mais en tout cas depuis 1848, était d'être respectés afin de maintenir un équilibre à coup sûr imparfait, mais profitable à tous.

Que seraient aujourd'hui nos fameuses «agglomérations», qui toutes se prennent pour un nombril, sans la stabilité politique, civile, économique et religieuse résultant, en Suisse, de cette multitude de compromis difficiles mais finalement respectueux?

De quelle légitimité pourraient donc se réclamer les «régions», autre que celle du subtil et quasi miraculeux équilibre sans cesse menacé mais sans cesse renouvelé de la Confédération des cantons suisses?

Les centres économiques forts ont-ils créé leur prospérité ex nihilo, ne devant rien à quiconque quant aux conditions cadres favorisant le développement économique ou démographique? Attention à la tentation de se croire tout-puissant, au danger de glisser dans l'arrogance envers ceux qu’on suppose plus faibles ou moins méritants. Avons-nous des cantons de première et d'autres de seconde zone? Les cantons ont-ils des districts et ceux-ci des communes de pointe et d'autres négligeables?

Le cheminot uranais contribue-t-il plus ou moins à la prospérité générale que le chimiste bâlois, et l’hôtelier grison par rapport à l’ingénieur neuchâtelois? L’instituteur obwaldien et le professeur de l’EPFZ? L’informaticien genevois et l’électricien-barragiste valaisan? Bien malin qui pourra nous apporter la réponse!

Comme en navigation, la vigie pourrait crier: «Danger! illusions droit devant!»

Alors, pour ce qui est des fantasmes, les bonimenteurs continueront d'agiter des idées creuses et de devenir grandiloquents, en se référant doctement au «sens de l'Histoire».

De notre côté, nous pensons que l'Histoire n'a pas un sens mais qu'elle a un poids, et que ce ne sont pas les brasseurs de vent ni les polémiqueurs professionnels qui en modifieront la valeur.

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