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Pierre Viret: un demi-millénaire!

Julien Le Fort
La Nation n° 1908 11 février 2011
L’année 2011 marque un double anniversaire pour Pierre Viret: le 500e de sa naissance et le 475e de la dispute de Lausanne qu’il a menée (à l’âge de 25 ans!) aux côtés de Guillaume Farel et Jean Calvin, dispute qui a fait date dans l’histoire religieuse du Pays de Vaud.

Il n’en fallait pas moins pour que le Conseil d’Etat lui-même décrète une «année Viret» en 2011; il a commis le pasteur Antoine Reymond aux fins de coordonner la manifestation.

D’autres personnalités du Canton n’ont pas attendu 2011 pour faire revivre Pierre Viret. Ainsi du pasteur Arthur- Louis Hofer. Ce pasteur retraité et actif nourrit depuis longtemps une passion pour le réformateur d’Orbe. Sous les auspices de l’Association Pierre Viret, il a entrepris la réédition de l’oeuvre maîtresse du réformateur: l’Instruction chrétienne. Avant la publication du troisième tome, annoncée pour cette année, intéressons- nous au deuxième1, consacré à l’étude de la Loi de Dieu.

Dans les prolégomènes, Pierre Viret expose l’intérêt de la Loi. Pour ce faire, il dresse un tableau peu amène des principaux régimes politiques que sont la monarchie, l’aristocratie et la démocratie. A propos des maux qui affectent la démocratie, le réformateur a notamment ces mots: «L’ambition et l’avarice […] sont cause que plusieurs briguent les offices de la République ou pour euxmêmes, ou pour leurs parents et amis, et pour ceux par lesquels ils auront été corrompus; et ceci non pas pour désir qu’ils aient à maintenir l’honneur de Dieu, ni le bien public, ni à administrer bonne justice; mais le font tant seulement pour l’honneur et pour le profit mondain qu’ils prétendent en recevoir, et pour régner dessus les autres. […] Car puisqu’ils ne dépendent que des hommes, et non point de Dieu; et qu’il est en la puissance de ceux qu’ils ont à gouverner, de les élever en dignité, ou de les abattre; il faut nécessairement qu’ils fassent la cour à tous, et qu’ils craignent ceux auxquels ils se devraient faire craindre.» (p. 34) La Loi de Dieu est seule capable de gouverner les hommes pour leur bien: «Quand tout sera bien pensé et repensé, nous n’en pourrons conclure autre chose, sinon que les hommes ne peuvent jamais être que misérables et très-mal gouvernés s’ils sont gouvernés par leurs semblables, c’est-à-dire, par des gouverneurs qui soient hommes mortels comme eux, quelque forme de gouvernement qui y puisse être.» (p. 31)

Les prolégomènes passés, on entre dans le vif du sujet: le commentaire des Dix Commandements. Ce commentaire est intéressant à plusieurs égards. D’abord, on apprend à mieux connaître un Vaudois célèbre; c’est en quelque sorte l’intérêt historique et national de cette oeuvre. Ensuite, l’intérêt est également anthropologique: on redécouvre, par la comparaison du XVIe siècle avec notre époque, que les tentations et les luttes humaines ont quelque chose d’immuable. Troisièmement, l’Instruction chrétienne fait plaisir à lire: le ton vigoureux – parfois enjoué – et la conviction profonde dans les dialogues entre Daniel, le maître, et Timothée, son élève, donnent vie au texte. Finalement – et c’est son intérêt majeur – cette oeuvre témoigne d’une prise au sérieux du Décalogue dont on est difficilement capable aujourd’hui. Pierre Viret livre un traité de morale, au meilleur sens de ce terme; l’explicitation de la Loi est tout orientée vers la gloire de Dieu et l’ordre parmi les hommes.

Pour illustrer le propos, voyons ce que Pierre Viret expose à propos du huitième commandement: «tu ne déroberas point» (qui fait suite au pittoresque «tu ne paillarderas point»).

Tout le commentaire repose sur le fait que Dieu est la main invisible qui accorde aux humains les biens dont ils disposent. Dès lors, se contenter de ses propres biens, ne pas voler ceux de son prochain et user de ses propres biens pour de justes finalités relèvent du respect de la volonté de Dieu. Par ailleurs, en plaçant sa confiance en Dieu seul, l’homme pourra, comme dit saint Paul aux Philippiens, vivre en abondance tout comme en disette. Parfois, Pierre Viret s’amuse du caractère factice du dialogue, comme ici, lorsque Timothée objecte: «[Il] me semble qu’il est bien plus facile de se contenter du beaucoup que du peu.» (p. 594) Daniel reprend et démontre que, pour le pauvre comme pour le riche, la principale cause de violation de ce commandement est le manque de foi et de confiance en Dieu. En effet, «si nous avions telle fiance en Dieu que nous devons, nous n’aurions jamais peur de pauvreté et d’indigence» (p. 594).

Par une brève exégèse, le réformateur montre que la racine hébraïque utilisée pour dire «dérober» a de fait un sens plus large et signifie également tromper et décevoir. Ainsi, il ouvre une large perspective d’interprétation de ce commandement; il utilisera cette large perspective pour montrer, de façon générale, comment le chrétien doit se comporter vis-à-vis de son prochain avec les biens de ce monde.

Pierre Viret en vient même à des considérations qui touchent à l’ordre politique et juridique: il dresse une continuité entre d’une part la volonté de Dieu qui nous a confié certains biens et d’autre part le droit à la propriété privée instituée par les lois civiles. Au passage, le réformateur lance quelques piques bien senties contre les anabaptistes qui cherchaient alors à imposer une forme de communisme.

Après avoir affirmé que le respect de ce huitième commandement exige une grande charité et une grande libéralité, le réformateur a le souci d’équilibrer son propos et de prévenir toute prodigalité du fidèle: «Le prodigue n’en fait pas moins de sa part [que l’avare], nonobstant qu’il suive autre chemin. Car puisqu’il n’a ni fond ni mesure, il ne peut satisfaire là où il devrait, vu qu’il ne peut et ne sait employer en bon usage, ce qu’il a déjà dépen[sé] sans raison; et puis il faut qu’il prenne quelque portion d’ailleurs, pour fournir à sa prodigalité.» (p. 605) On retrouve à plusieurs reprises en filigrane l’affirmation que le mal se nourrit de luimême, qu’un mal en appelle un autre; ici, la prodigalité appelle le vol.

Le propos est profondément réformé à deux égards en particulier, me semblet- il. Premièrement, Pierre Viret affirme l’impossibilité de respecter ce commandement si le coeur n’est pas purgé de toute avarice et convoitise. La disposition du coeur prend ici le dessus par rapport à une approche plus légaliste. En effet, le réformateur affirme: «Car puisque la Loi est spirituelle, et le Législateur spirituel (Rom. 7.14), il faut toujours venir à l’accomplissement spirituel d’icelle, et à la réformation du coeur, dont l’oeuvre procède.» (p. 593) Deuxièmement, le réformateur valorise le travail, en tant que celui-ci permet de subvenir aux besoins courants. Pour Pierre Viret, la paresse entraîne une pauvreté indéfendable. Le paresseux pauvre soit volera soit sera à charge d’autres personnes. Dans l’un et l’autre cas, il violera le huitième commandement.

Pour rendre son propos très concret, Pierre Viret établit une véritable typologie des larcins, dont le maître du dialogue, Daniel, s’empresse de dire qu’«[…] il serait impossible, je ne dis pas seulement de les raconter toutes, mais seulement la moitié.» (p. 604) Pierre Viret donne alors des exemples concrets de larcins qu’il range en catégories; dans cette liste, il est notamment question de sacrilèges, de larcins commis envers les jeunes enfants, de larcins louables, de larcins envers le bétail, de faux-monnayeurs et de jeux d’argent. Toutes choses qui (malheureusement!) n’ont pas perdu de leur actualité…

Je l’ai déjà relevé, je le redis: contrairement à ce qu’on peut imaginer de prime abord, l’intérêt de l’ouvrage n’est pas qu’historique. Aujourd’hui encore, au XXIe siècle, on peut se laisser édifier en lisant le commentaire du Décalogue de Pierre Viret. En cette année anniversaire, c’est ce que je souhaite aux lecteurs de La Nation.

 

NOTES:

1 Pierre Viret, Instruction chrétienne, tome deuxième, édition établie, présentée et annotée par Arthur-Louis Hofer, L’Age d’Homme, Lausanne 2009.

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