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Maîtresse de VSO et maître d’apprentissage

Laurence Benoit
La Nation n° 1911 25 mars 2011
Le séminaire annuel de la Ligue vaudoise consacré à l’avenir de l’école a débuté par les conférences de deux professionnels motivés et expérimentés en contact étroit avec des élèves de voie secondaire à options (VSO): Mme Geneviève Chabloz, une enseignante au bénéfice de 25 ans d’expérience et actuellement professeur de 7e VSO au Collège de Bussigny, et M. Guy Gaudard, patron d’une entreprise d’électricité fondée en 1991, très activement engagé dans la formation d’apprentis depuis plus de dix ans. Tout deux étaient visiblement animés d’une sympathie active à l’égard des jeunes qui leur étaient confiés et aussi par un solide amour de leur métier.

Mme Chabloz a avoué n’avoir accepté de participer à ce séminaire que parce que l’intitulé de la conférence renvoyait enfin une image positive de cette voie si injustement décriée. Elle a donc commencé son exposé en réduisant à néant quelques clichés. Non, les élèves de VSO n’étaient pas tous des délinquants en puissance et être professeur de ces classes n’était pas forcément un enfer quotidien et, oui, il était possible de faire du bon travail avec eux. Elle est même allée jusqu’à dire qu’elle aimait cette tâche exigeante et gratifiante, où il fallait plus qu’ailleurs allier qualités humaines et pédagogiques en raison de la forte demande d’affection et de reconnaissance de ces élèves.

En effet, elle n’a pas caché non plus que les enfants orientés dans cette filière étaient souvent découragés et démobilisés par leur échec à satisfaire aux exigences des voies plus académiques et plus prestigieuses, et qu’il fallait du temps pour leur faire regagner confiance en eux-mêmes et donner des leaders positifs à la classe. La plupart du temps, ils ont profondément intériorisé l’image négative que la société et leurs camarades conformistes leur renvoient d’eux-mêmes et à laquelle rien ne vient faire barrage.

Mais grâce aux effectifs réduits permettant l’installation d’un climat de partage plus intime entre élèves et maîtres et aussi à l’homogénéité de leur niveau scolaire autorisant l’enseignant à leur proposer des objectifs scolaires accessibles, des méthodes et des buts (sous forme de projets) plus conformes à leurs aptitudes, ces élèves finissent par faire l’expérience de la réussite, et ainsi à améliorer leur estime d’eux-mêmes.

Les difficultés refont surface au moment de trouver une place d’apprentissage, tâche qui, selon Mme Chabloz, relève du parcours du combattant. Ce qui est à nouveau un facteur de profond découragement pour ces élèves. D’après son expérience, seul un quart des jeunes trouvent rapidement une place en fin de 9e, constat nuancé par les conseillers en orientation affirmant qu’un grand nombre trouvent au terme d’une ou deux années supplémentaires.

C’est cette pénurie de places d’apprentissage et la crainte d’être laissé pour compte, beaucoup plus que le regret de ne pas fréquenter l’université, qui suscitent l’angoisse des enfants orientés en VSO et de leurs parents. En effet, interrogés, ces élèves affirment tous que la perspective de dix ans d’études théoriques ne les tente absolument pas.

L’image négative de la VSO véhiculée par une société obsédée par le primat des études abstraites combinée à la peur du chômage fait que l’orientation dans cette filière est perçue non comme une différentiation positive mais comme une sanction.

M. Gaudard, après avoir résumé son engagement professionnel, associatif et politique en faveur des jeunes et de la formation duale – qui a toujours été pour lui une priorité –, a ensuite évoqué son expérience en tant que maître d’apprentissage.

Son entreprise, qui compte vingt collaborateurs, forme actuellement quatre apprentis. Sur les dix-neuf apprentis qu’il a formés par le passé, la majorité venaient de VSO, quelques-uns de voie secondaire générale (VSG) et un seul de voie secondaire baccalauréat (VSB). Il n’a pas remarqué de différences fondamentales entre ces jeunes selon leur provenance, si ce n’est qu’un VSB est plus apte à tenir un discours sur sa pratique qu’un VSO, alors qu’un VSO est plus habile à la pratique qu’un VSB. Tous sont partis avec leur CFC en poche, même si certains ont mis plus de temps que d’autres à l’obtenir. Beaucoup ont des situations familiales difficiles créant parfois un climat peu propice à un travail serein. M. Gaudard a regretté de ne voir les parents qu’au moment de la signature du contrat et de ne plus en entendre parler ensuite.

Fort de sa longue expérience, il a pu faire quelques constats sur l’évolution des apprentis qui lui sont confiés. Il remarque chez eux des difficultés de concentration grandissantes, une réticence à s’engager et des problèmes d’assiduité. Ils manquent de soin et de précision dans la tenue de leurs agendas journaliers. Ils sont fragiles par rapport au stress des examens et supportent mal l’imprévu dans ce domaine. Mais surtout, ils manquent de savoir-vivre. On doit leur inculquer les règles élémentaires de politesse que l’on ne peut plus tenir pour acquises.

Conformément à ce que révélait l’enquête du Centre Patronal1, M. Gaudard a admis que le facteur déterminant pour l’embauche d’un apprenti était le stage d’essai en entreprise, beaucoup plus que la voie dont il sortait ou les notes qu’il avait obtenues. Ce stage permet de se faire une idée très précise des potentialités et des lacunes de l’élève dans des domaines que ni le certificat de fin d’études ni les tests multi-check ne peuvent évaluer: sens pratique, dextérité manuelle, capacité à travailler en équipe, aptitudes conformes aux exigences du métier (être sujet au vertige, ou frileux, est un handicap dans sa profession). Malheureusement, les élèves s’y prennent souvent mal pour obtenir ces stages.

Pour améliorer l’image des apprentissages, M. Gaudard suggère que les professionnels puissent présenter leurs métiers, et les nombreuses possibilités et avantages qu’ils recèlent, dans les classes, dès la cinquième primaire. Il est nécessaire de faire comprendre tôt aux élèves que l’apprentissage n’est pas qu’une roue de secours, mais un choix à part entière.

Pour faciliter la recherche d’apprentissage, il pense qu’il serait bon d’éditer un répertoire des entreprises formatrices pour le distribuer aux élèves et à leurs parents. Il propose aussi de créer des centres de transition pour les élèves qui n’auraient pas trouvé de places d’apprentissage, dans lesquels les entreprises pourraient puiser pour des stages de trois à six semaines, ce qui permettrait de répartir la charge d’un apprenti sur plusieurs employeurs.

Pour encourager les entreprises à former des apprentis, il suggère que le pouvoir politique concède aux entreprises formatrices des allègements fiscaux substantiels et qu’elles soient favorisées pour les appels d’offre de travaux publics. Et surtout qu’on ne les décourage pas avec un surplus de travail administratif. Il pense aussi que les administrations publiques devraient montrer l’exemple dans ce domaine, ce qui n’est pas le cas actuellement.

Au terme de ces deux allocutions, il est apparu que supprimer la VSO était une solution de facilité qui reviendrait à entériner le mépris dont on accable cette voie. Les deux conférenciers lançaient et relevaient un défi autrement plus difficile et constructif: transformer l’emblème d’une humiliation imméritée, VSO, en celui d’un orgueil légitime.

 

NOTES:

1 Paschoud Sophie, Réformer n’est pas jouer, Centre Patronal, Etudes & Enquêtes n° 41, 2010.

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