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La démocratie directe en Californie

Alexandre Bonnard
La Nation n° 1911 25 mars 2011
L’Information immobilière est une luxueuse revue quadrimestrielle éditée par la Société Privée de Gérance à Genève, d’environ 200 pages en moyenne, tirée à 70 000 exemplaires ou plus. Le dernier tiers ou quart est consacré aux offres d’achat ou de location d’immeubles à Genève et environs, France voisine et Vaud, principalement à la Côte. Les prix actuels, comme chacun sait, ont quelque chose de surréaliste. Vers la fin et avant les ultimes pages de pub, on se précipite sur la rubrique «Faites une folie», qui concerne quelques-uns des nombreux châteaux à vendre dans les provinces françaises. Il nous est généralement proposé des bâtiments «historiques» de 10, 20, 30 pièces ou plus, sans parler des communs, avec parc arborisé (et étang bien sûr) de 5, 10, 20 hectares ou plus, pour un prix équivalent à celui d’une petite villa contiguë avec jardin de 100 m2 dans la banlieue genevoise ou le district de Nyon (plus ou moins un million d’Euros).

Bien sûr, on peut trouver en France ou ailleurs des amateurs pour qui, financièrement, un achat de ce genre ne serait pas une folie mais une fantaisie et que cela ne gênerait pas d’assumer annuellement des frais d’entretien au moins égaux au prix d’achat, pour l’occuper comme résidence secondaire. Sinon: maison de retraite haut de gamme, après transformations pour des millions?

A titre de comparaison, un des plus beaux châteaux de La Côte avec un modeste parc a été récemment acheté pour plus de cinquante millions à un propriétaire qui l’avait acheté quelques années avant pour vingt-six millions. Mais passons.

L’intérêt concret de cette revue réside dans les deux premiers tiers ou trois premiers quarts où l’on peut lire des chroniques d’écrivains connus, le plus souvent français, comme Jean-François Revel, fidèle jusqu’à son décès, l’académicien Jean Dutourd, récemment décédé, l’ancien ministre Luc Ferry, l’incontournable (?) André Comte-Sponville, Jean Romain, Jean Marejko, Pascal Bruckner, le journaliste-humoriste Philippe Bouvard.

On y trouve ensuite des articles d’intérêt inégal mais le plus souvent de bon niveau sur des sujets politiques, économiques, scientifiques (Albert Jacquard), culturels, géographiques.

Dans le dernier numéro, notre attention est attirée sur un article de Mme Claudine Mulard intitulé «La démocratie directe, une idée suisse à suivre à tout prix?». On y apprend, pour ceux (dont le soussigné) qui l’ignoraient encore, qu’en 1911 le 23e gouverneur de la Californie, Hiram Johnson (1866-1945), républicain réformiste, s’est inspiré du système référendaire suisse (notre Constitution de 1891) pour faire introduire dans la Constitution californienne un système en partie analogue, qui n’a d’équivalent dans aucun des autres Etats américains. La Constitution primitive de 1879 s’est ainsi accrue, au gré des votations populaires durant cent ans, de 512 amendements, pour arriver à 400 pages! «Pour un électeur, le nombre et la longeur de ces propositions […] obligent à lire et à étudier un bulletin électoral aussi complexe qu’un texte de loi.»

La Californie est le troisième plus grand des Etats américains, après l’Alaska et le Texas. Avec une trentaine de millions d’habitants, c’est aussi le plus peuplé. Il est le berceau de bien des modes, bien des inventions qui ont essaimé dans toute l’Amérique, l’Europe, voire le monde. Il est «à la pointe» dans bien des domaines. Mais c’est aussi (probablement) le plus endetté, en faillite virtuelle, sans que l’on puisse déterminer la part de crise des subprimes dans ce désastre. En tout cas le gouverneur Arnold Schwarzenegger, qui termine son deuxième mandat, n’en est pas tenu pour responsable.

C’est bien plutôt, selon de nombreux avis… la démocratie directe, plus précisément l’abus, par les citoyens et citoyennes, de leur droit d’initiative, qui serait fautive au premier chef, rendant ingérable le budget de l’Etat. Les Californiens en auraient pris conscience. Selon un sondage (mais ils sont aussi sujets à caution que chez nous), une majorité estime maintenant nécessaire de procéder à des changements fondamentaux de la Constitution. Mais il n’est bien entendu pas question pour le peuple de faire harakiri. Apparemment, la grande majorité veut maintenir cette institution importée de Suisse il y a un siècle.

Qu’est-ce à dire? Faut-il en déduire que l’abus par le «peuple» californien, c’est-à-dire les majorités successives, de son droit d’initiative et les maux qui prétendument en résultent sont la preuve que le système suisse de 1891 est en réalité inexportable et que les citoyens du «Golden State» n’auraient pas la maturité politique dont se targuent nos compatriotes? Ce serait bien prétentieux, ce d’autant plus qu’après chaque votation les majoritaires vainqueurs, qui sont «le peuple suisse», considèrent les vaincus comme immatures, fûtce à 49,8%, les laissant déplorer la victoire inquiétante du populisme.

Il faut plutôt souligner que notre système comprenant l’initiative, avec la double majorité du peuple et des cantons, le référendum obligatoire et le référendum facultatif, est plus complexe, plus complet, garantissant l’équilibre entre le peuple et les cantons. Il est en effet unique et inexportable et on ne connaît pas d’autre Etat dans le monde (même les Etats fédéralistes) qui l’ait copié ou ait envisagé de le faire.

A noter que l’auteur de l’article confond allègrement, comme nos voisins français et d’ailleurs les autres pays européens, initiative et référendum.

Pour ce qui est de la Californie, l’article de Mme Mulard ne fournit aucun renseignement sur le fonctionnement de l’initiative constitutionnelle en Californie: nombre de signatures requises pour le dépôt, préavis éventuel de l’exécutif, soumission au législatif pour détermination et contre-projet éventuel, délai pour le vote populaire. Sur tous ces points, je renvoie à internet, où l’on doit sans doute trouver aussi la liste des 512 amendements apportés en un siècle à la Constitution (la Constitution des Etats-Unis a été amendée 27 fois en 224 ans).

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