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NON aux «PC familles»

Pierre-Gabriel Bieri
La Nation n° 1913 22 avril 2011
Le conseiller d’Etat Pierre-Yves Maillard a habilement fait aboutir, à la fin de l’année passée, son projet de prestations complémentaires pour les familles («PC familles»). Les organisations économiques et patronales, plus ou moins suivies par les partis de droite, ont décidé de combattre la nouvelle loi par référendum et les lecteurs de La Nation se souviennent certainement des divers articles qui ont paru sur ce sujet au moment de la récolte des signatures. Le référendum ayant abouti, la nouvelle loi sur les prestations complémentaires cantonales pour familles et les prestations cantonales de la rente-pont (LPCFam) est soumise au vote du peuple le 15 mai prochain.

La principale argumentation de M. Pierre-Yves Maillard repose sur l’explosion du nombre des personnes au bénéfice de l’aide sociale depuis le début des années nonante. Le nombre de dossiers annuels a passé de 10'000 à près de 20'000. Actuellement, au cours d’une année, ce sont environ 30'000 à 40'000 personnes qui passent par l’aide sociale vaudoise, représentant 4,8% de la population active. M. Maillard y voit notamment les effets d’une mutation «structurelle»: une partie de l’économie privée ne parvient plus à rémunérer correctement les personnes qu’elle emploie et le salaire moyen dans certains métiers ne suffit plus à faire vivre une famille. Cela justifie – toujours selon le conseiller d’Etat – non seulement que l’Etat intervienne afin de compléter le revenu de ces personnes, mais aussi que le monde du travail soit mis à contribution puisqu’il est en partie responsable de cette situation.

Cette vision des choses trouve un terreau fertile chez tous ceux qui aiment croire, sinon à la théorie de la lutte des classes, du moins aux caricatures de patrons esclavagistes et à la pénibilité insupportable du travail due aux pressions infernales imposées par la mondialisation. Elle entre toutefois en contradiction avec le fait que les «petits boulots mal payés» ont existé de tout temps, et plutôt davantage autrefois qu’aujourd’hui, que la Suisse connaît un niveau de vie et un pouvoir d’achat parmi les plus élevés du monde, et que le travail ne manque pas puisque de nombreuses entreprises sont obligées de recruter à l’étranger les employés qu’elles ne trouvent pas ici. Si donc le nombre des personnes dépendantes de l’aide publique augmente, ce n’est pas la faute de l’économie privée, mais plutôt une conséquence de certaines situations personnelles hélas de plus en plus fréquentes – augmentation du nombre de jeunes qui peinent à acquérir une formation professionnelle, ou encore du nombre des familles monoparentales –, ainsi que de certaines dérives de notre société, en particulier sous l’influence des idées socialistes: multiplication des «droits» (à un revenu décent, à une bonne santé, aux loisirs, au bonheur…), habitude d’en appeler à l’Etat pour combler le moindre manque, dénigrement du travail, de l’effort et de la discipline, mode de l’introspection anxieuse, disparition progressive de la responsabilité individuelle.

Pour inverser la tendance, il faudrait rompre avec ces dogmes. On peut comprendre que cela ne plaise pas à ceux qui y croient, ni à ceux qui en bénéficient en termes de succès électoraux.

M. Pierre-Yves Maillard dit vouloir aider financièrement les familles où l’on travaille, même à taux réduit. Il vaut mieux, affirme-t-il, accorder une aide publique modeste en complément d’un petit salaire, plutôt que de laisser ces gens dans une situation de pauvreté telle qu’ils cesseront bientôt de travailler et tomberont entièrement à la charge de l’Etat. L’argument est plaisant… mais on ne résout ainsi aucun problème. On ancre dans l’esprit des travailleurs que l’Etat leur viendra en aide s’ils ne gagnent pas assez. On ancre dans l’esprit de certains patrons que l’Etat complètera les salaires qu’ils versent si ceux-ci sont jugés insuffisants. On permet donc aux situations insatisfaisantes de perdurer. En même temps, on accroît la quantité totale d’aide étatique en accordant des prestations complémentaires à des familles qui, pour certaines, ne demandaient rien. On encourage certes quelques familles à sortir de l’aide sociale… mais seulement pour les faire tomber dans un système d’aide différent. Meilleur? Sur cette question précise, le débat entre partisans et opposants atteint un degré de complexité inaccessible à la plupart des profanes et propice à d’épiques controverses chiffrées; contentons-nous de constater ici que cette complexité même constitue un défaut rédhibitoire. Surtout, le système proposé serait, pour un bon tiers, directement financé par l’économie privée, de sorte que l’Etat pourrait embellir d’autant son budget social, sans que l’on ait réduit le nombre de personnes bénéficiant d’une aide.

Peu importe donc que le prélèvement sur les salaires soit – pour le moment – très modeste. Le principe même de ces nouvelles prestations complémentaires pour familles est faux. Elles ne diminuent pas le nombre de familles dépendantes d’une aide publique, tandis qu’elles dissimulent une partie de l’augmentation des dépenses sociales de l’Etat.

Voter NON n’est pas une insulte aux familles nécessiteuses, mais bien plutôt un carton rouge à la politique de M. Maillard.

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