Patates
Jean Raspail pouvait difficilement rêver mieux pour assurer la promotion de la troisième édition de son roman prémonitoire Le Camp des Saints (Robert Laffont 2011), qualifié précautionneusement de «brûlot sulfureux» par une Agence France Presse dont maintes dépêches semblent pourtant extraites de l’une ou l’autre page du livre en question. Signalons donc que ce dernier n’a pas encore été interdit par la censure, mais qu’il pourrait être bientôt épuisé puisque le nombre d’exemplaire vendus, s’il était révélé ici, ferait pâlir de jalousie le directeur des Cahiers de la Renaissance vaudoise1.
Il n’y a pas d’afflux de réfugiés en Europe, donc, mais on voit néanmoins débarquer chez nous des légions de dictateurs déchus et de révolutionnaires déçus qui, après avoir définitivement mis la pagaille dans les anciennes colonies, se verraient bien couler des jours heureux en métropole. Leur statut exact dépendra de la manière dont on contorsionnera l’interprétation de telle ou telle disposition de l’accord de Schengen, lequel a pourtant définitivement volé en éclats sous la pression migratoire actuelle. Car Schengen, tout comme l’ONU, ne fonctionne que par «beau temps»; lorsque les choses commencent à se gâter, les Etats qui le peuvent s’asseyent sur ce qu’ils ont signé et envoient leurs interlocuteurs se faire voir chez les Grecs – qui reçoivent désormais moins bien qu’auparavant.
C’est ainsi que le jeu de «Schengen» consiste aujourd’hui à accorder n’importe quel titre de séjour permettant aux immigrés indésirables de poursuivre rapidement leur voyage dans un autre pays d’Europe. On ne refuse pas l’entrée à ces pauvres gens qui fuient la démocratie, au contraire, on les accueille à bras ouverts… chez ses voisins. C’est le jeu de la patate chaude, avec, dans le rôle des patates, des foules grossissantes de réfugiés dont on sait qu’ils ne remplissent pas les critères pour se voir reconnaître le statut de réfugié, mais dont on espère qu’ils aillent se le faire dire ailleurs.
La question se pose maintenant de savoir si la Suisse suivra le cynisme des autres Etats européens, selon le sage principe du parallélisme approprié, ou si Berne va vouloir jouer au bon élève et prendre davantage que sa ration de patates. En l’occurrence, le rôle du bon élève semble peu recommandable, raison pour laquelle nous nous abstenons – exceptionnellement! – de rappeler l’importance de la future votation sur l’initiative «Ecole 2010».
NOTES:
1 Le prochain Cahier, dû à la plume de Jean-Blaise Rochat, sera excellent. N’omettez pas de l’acheter dès qu’il sortira.
Au sommaire de cette même édition de La Nation:
- Imposture – Editorial, Olivier Delacrétaz
- Suisse mon amour – Jean-Jacques Rapin
- Cathédrale souterraine – Aspects de la vie vaudoise, Frédéric Monnier
- Distinction pour un excellent film vaudois – Aspects de la vie vaudoise, Jean-François Cavin
- Ambiguïtés diplomatiques – Jean-François Cavin
- La Bienheureuse Passion – Jean-Baptiste Bless
- Après le printemps, l’arrière-automne – Revue de presse, Ernest Jomini
- NON aux «PC familles» – Pierre-Gabriel Bieri
- La myopie des partis – Revue de presse, Ernest Jomini
- La menace du canon de 75 – Revue de presse, Philippe Ramelet
- Le socio-constructivisme – Cosette Benoit
- Couches profondes – Cédric Cossy
- Au secours des nuls – Ernest Jomini