Identification
Veuillez vous identifier

Mot de passe oublié?
Rechercher


Recherche avancée

Couches profondes

Cédric Cossy
La Nation n° 1913 22 avril 2011
L’art. 83 al. 1 lettre d de la Constitution vaudoise demande de soumettre au référendum obligatoire «tout préavis, loi ou disposition générale concernant l’utilisation, le transport et l’entreposage d’énergie ou de matière nucléaires». Dans un article précédent1, nous avions exposé la tactique des écologistes vaudois qui avaient, au travers d’un recours auprès de la Cour constitutionnelle, remis le Conseil d’Etat à l’ordre pour avoir livré son préavis sur la prolongation du permis d’exploitation de Mühleberg sans avoir consulté les Vaudois. Il avait alors fallu que le Grand Conseil réexaminât le préavis avant de le soumettre au peuple… qui finalement désavoua son Gouvernement en novembre 2009.

Refroidi par cette expérience, le Conseil d’Etat avait prévu de soumettre le 15 mai au peuple vaudois l’approbation de quatre préavis cantonaux concernant des objets nucléaires mis en consultation par la Confédération. Les événements japonais et la décision corollaire prise par Mme Leuthard d’imposer un délai de réflexion sur la construction de nouvelles centrales font que seul un des quatre reste au programme des votations du 15 mai. nous sommes donc appelés à approuver ou rejeter le préavis gouvernemental favorable à l’étape 1 du plan sectoriel «Dépôt en couches profondes» concernant le stockage des déchets nucléaires.

* * *

Quel que soit l’avis que l’on puisse avoir sur l’avenir de l’atome, les déchets nucléaires sont une réalité. La production de courant nucléaire a généré et génère encore des déchets de haute activité (DHA), notamment le combustible usagé. Les déchets à faible et moyenne activité (DFMA) sont issus pour le moment de la médecine, de l’industrie ou de la recherche, mais leur grande masse reste à venir, dans vingt à trente ans, lors de la démolition des centrales existantes. DHA et DFMA sont actuellement stockés en surface. L’exemple japonais tend à montrer qu’ils ne sont pas à l’abri d’une brusque dissémination découlant d’une catastrophe naturelle.

Selon la loi fédérale sur l’énergie nucléaire (LEnu, art. 34), l’exportation de ces déchets ne peut se faire qu’à titre temporaire. nos poubelles nucléaires reviendront donc toutes tôt ou tard sur territoire suisse. Il faut donc se préparer à les accueillir. La LEnu prévoit explicitement et exclusivement de placer ces déchets dans des dépôts en profondeur. Sur un plan plus technique, les «couches profondes» envisagées pour accueillir ces dépôts sont des argiles à opalinus situées entre quatre et six cent mètres de profondeur. La stabilité de ces roches est indiquée par la conservation en leur sein de petites coquilles vieilles de cent huitante millions d’années. Cette pérennité laisse espérer des conditions géologiques sûres à l’échelle des quelques dizaines de milliers d’années requises pour rendre les déchets nucléaires inoffensifs2.

Le calendrier confédéral pour l’étude et l’ouverture de dépôts destinés à accueillir les déchets radioactifs suisses montre une procédure longue et complexe. La conception générale, approuvée en avril 2008 par le Conseil fédéral, prévoit une phase préparatoire – maladroitement intitulée «mise en oeuvre» alors qu’il s’agit d’une phase d’étude et de sélection – comportant trois étapes, suivie d’une phase de «construction» en comportant quatre.

A ce jour, la Société coopérative nationale pour le stockage des déchets radioactifs (nagra) a retenu six sites au sous-sol propice dans les cantons de Schaffhouse, Nidwald, Argovie et Zurich. Dans la première étape de la phase préparatoire (durée prévue de deux ans et demi) on prévoit l’analyse des possibilités d’installation, en tenant compte principalement des critères de sécurité techniques et géologiques. Durant cette phase, les collectivités locales seront consultées et impliquées.

La deuxième étape (à nouveau deux ans et demi) a pour but de réduire le choix à deux sites pour les DHA et à deux pour les DFMA (un site DHA est aussi susceptible d’accueillir des DFMA). En sus des aspects sécuritaires et techniques, les aspects sociaux-économiques et liés à l’aménagement du territoire seront spécialement étudiés. Les collectivités locales seront à nouveau impliquées dans cette étape.

La troisième étape (encore deux ans et demi) permettra de finaliser les expertises techniques pour ne retenir qu’un site par type de déchets. C’est seulement à ce stade que les aspects économiques – investissements, indemnités aux collectivités – seront évalués. Cette étape, et par là la phase de «mise en oeuvre», se terminera par l’octroi d’une autorisation de construction par le Conseil fédéral qui devra être avalisé par les Chambres fédérales et – le référendum semble une évidence – par le peuple et les cantons.

C’est donc au mieux en 2019 que la phase de construction pourrait commencer. Après une première étape de deux ans pour de nouvelles études géologiques, une deuxième étape de cinq à dix ans pour la construction des galeries d’accès et d’un laboratoire souterrain et une troisième étape de huit ans pour la construction des galeries d’entreposage, les déchets pourraient commencer à être enfouis, dans les années 2030 pour les DFMA et les années 2040 pour les DHA.

* * *

C’est sur le préavis concernant la première étape de la phase préparatoire que les Vaudois sont appelés à se prononcer le 15 mai. Il est à peu près certain que les autres étapes de cette phase seront aussi soumises à consultation des cantons. Avec l’inévitable référendum fédéral à la fin de cette phase, les Vaudois vont donc se prononcer quatre fois sur le même objet, dont trois à titre purement consultatif. Vaud n’abritant aucun des sites retenus, ses préavis n’auront que peu de poids dans la pesée de l’intérêt fédéral. En guise de boutade, on pourrait donc recommander aux Vaudois de voter ce qu’ils veulent en mai prochain, puisqu’ils auront encore trois fois l’occasion de changer d’avis dans les dix ans à venir.

L’art. 61 de la LEnu impose aux exploitants de l’atome l’enfouissement en profondeur comme seule solution pour accueillir les déchets nucléaires. La loi, qui répond à l’état actuel de la technique, est certes un peu restrictive: son libellé n’autoriserait l’emploi d’aucune autre méthode d’entreposage ou de désactivation que l’innovation technologique pourrait fournir dans le futur. La Suisse ne peut cependant baser sa politique des déchets sur l’attente d’une hypothétique solution providentielle. Il n’est donc pas souhaitable de freiner l’élaboration de la seule solution connue. S’y opposer placerait en outre les exploitants dans la situation paradoxale d’être forcés par la loi de trouver rapidement une solution pour enfouir leurs déchets, mais d’être retardés par la volonté populaire pour y parvenir. Le retard n’est pour eux qu’un report avantageux des frais d’étude et de réalisation correspondants. Et tant pis pour la caisse de la Confédération si ces exploitants venaient à disparaître du registre du commerce avant qu’une solution n’ait été financée.

Le Conseil d’Etat préavise favorablement à cette première étape d’étude, pour autant que, jusqu’en 2100 au moins, la réversibilité de l’entreposage soit garantie: les déchets devraient pouvoir être réextraits de leur abri en cas de problèmes. Cette réversibilité laisserait en outre la porte ouverte à une récupération pour toute technologie providentielle.

L’entreposage et la sécurisation de nos déchets nucléaires sont une nécessité qu’il convient de ne pas ralentir. nous soutiendrons donc le préavis du Conseil d’Etat vaudois en votant OUI le 15 mai.

 

NOTES:

1 «Manoeuvres procédurières», La Nation n° 1873 du 9 octobre 2009.

2 Les détails techniques sont accessibles sous www.nagra.ch.

Vous avez de la chance, cet article est en accès public. Mais La Nation a besoin d'abonnés, n'hésitez pas à remplir le formulaire ci-dessous.
*


 
  *        
*
*
*
*
*
*
* champs obligatoires
Au sommaire de cette même édition de La Nation: