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Remarques sur le remplacement du Tiger

Edouard Hediger
La Nation n° 1952 19 octobre 2012

Depuis juin 2008 et les premiers appels d’offre, le choix du nouvel avion de combat destiné à remplacer le F-5 en fonction depuis 1978 déchaîne les passions. L’avion sélectionné au terme des essais, le Gripen du constructeur suédois Saab, ne fait de loin pas l’unanimité. Au-delà du nombre d’appareils prévus, des affaires compensatoires et des coopérations industrielles proposés par les constructeurs des trois avions en lice, les aspects techniques et politiques sont ceux qui sont le plus remis en question. Plusieurs pierres d’achoppement peuvent être observées dans le choix du Conseil fédéral.

Le point qui semble le plus important est celui des performances techniques et opérationnelles attendues d’un avion censé garantir la supériorité aérienne de la Confédération sur son territoire. La version C/D du Gripen, testée par les forces aériennes et Armasuisse, a été remplacée au pied levé par un Gripen «New generation» E/F à l’état de projet et comportant les dernières avancées technologiques mais sans faire lui-même l’objet de tests en vol. Il s’agirait néanmoins d’un avion sensiblement différent de la première version et incluant pas moins de nonante-huit modifications. Cette version est notée comme «juste satisfaisante» par le rapport de la sous-commission chargée de l’achat du nouvel avion. Elle note qu’en faisant ce choix l’armée suisse se placera à un «niveau technologique légèrement inférieur à celui de nos voisins». De plus, son fuselage est singulièrement plus petit que celui du F/A-18 (près de 3 mètres et 5 tonnes de moins). Il en résulte un manque de place important pour d’éventuelles améliorations, notamment un nouveau radar mieux adapté à notre relief et des équipements électroniques plus performants. Dans ces conditions, il est difficile d’envisager une «helvétisation» poussée et la mise aux normes progressive durant les trente ans que dure le cycle de vie d’un tel avion. Avec le développement de la version E/F et toutes ces modifications, il faudra attendre 2023-2026 pour que les vingt deux appareils soient pleinement opérationnels avec tous les coûts que cela sous-entend. Rappelons que le programme de remplacement des F/A-18 sera alors lui aussi entamé. De plus, un avion à deux réacteurs semblait avoir la préférence des pilotes pour des raisons de puissance et de fiabilité dans notre environnement montagneux. C’est néanmoins un monoréacteur qui a été choisi.

L’aspect politique revêt également une grande importance quant au choix de l’avion. Privilégier un pays producteur neutre est une bonne orientation. Néanmoins, Saab est en difficulté financière et l’achat de vingt-deux avions serait un gage de sauvetage pour l’industrie aéronautique suédoise. Malheureusement, il n’y a aucune garantie que l’entreprise puisse durer jusqu’à la fin du cycle de vie de l’avion. Ceci pose un grave problème d’approvisionnement en pièces détachées, d’échanges technologiques et de suivi technique entre les ateliers de Saab et RUAG, chargé de l’entretien. L’avenir de Saab est suspendu à la décision suisse mais également suédoise. En effet, le parlement suédois s’est engagé à acheter soixante avions si la Suisse en fait de même pour les siens. Néanmoins, un achat suisse est peu probable si l’assurance d’un achat suédois n’est pas donnée. Etre le seul pays à utiliser un avion de combat n’est pas une bonne chose puisqu’on se prive d’échange de compétences entre pilotes mais également des facilités d’entraînement en Suède, pays qui dispose de plus d’espace que le nôtre pour des manœuvres. Il conviendrait donc au moins que le Conseil fédéral exige de la Suède des garanties diplomatiques permettant d’assurer l’avenir industriel de la maintenance du Gripen.

Le choix de cet avion pose donc plus de questions qu’il n’en résout. Quelle sera la situation dans dix ans pour un avion noté aujourd’hui comme «juste satisfaisant»? Le Gripen est certes l’avion le moins cher. C’est aussi celui dont les performances et l’évolution technique sont les plus incertaines. Ce choix est donc celui qui comporte le plus de risques, aux niveaux politique et économique mais aussi technologique, et quant au respect du calendrier. Il semble en tout cas que le manque de communication de la part du Conseil fédéral ait généré des malentendus quant aux choix et aux décisions prises, ceci ayant sûrement contribué à la polémique sur cet avion et à l’allongement des délais, en plus des incertitudes qui planent encore sur ses caractéristiques techniques.

Le processus est maintenant en route depuis de nombreuses années. Et le DDPS semble figé dans sa volonté d’acheter le Gripen. Le rapport de la sous-commission va également dans ce sens. A ne pas en douter, les salves de DCA tirées par la presse depuis trois ans sont principalement motivées par l’antimilitarisme de nos journalistes et leur allergie à l’UDC et son ministre. De même, il semble évident que M. Maurer a cherché à ménager la chèvre et le chou, d’un point de vue financier principalement. Sa position n’est pas facile. Une forte minorité parlementaire ne veut par principe pas d’avion du tout et une petite frange de l’Assemblée ne comprend probablement pas la nécessité d’un remplacement. La solution la moins onéreuse s’imposait naturellement.

Il n’en demeure pas moins que la situation est devenue bien embarrassante. L’hostilité d’une opinion rêvant depuis le début d’une nouvelle affaire des Mirages s’ajoutent aux hésitations de notre ministre de la défense. La Suisse semble se retrouver devant une mauvaise alternative: choisir un avion «juste satisfaisant» posant des problèmes politiques, ou ne pas pouvoir remplacer le Tiger du tout. Chaque partie porte sa part de responsabilité.

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