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Pourquoi des historiens révisionnistes?

Jean-Jacques Rapin
La Nation n° 1952 19 octobre 2012

Notre communauté ne s’est pas encore remise des blessures causées par les insultes faites à son passé récent, avant tout sur son attitude durant la Seconde Guerre mondiale. On constate journellement les traces qui en subsistent, allant d’une mauvaise conscience à la honte d’avoir été épargné, aux doutes sur l’efficacité de ce qu’étaient notre volonté de défense et la réalité de notre neutralité…

Même un journal sérieux tel que la Neue Zürcher Zeitung a publié récemment un article scandaleux, traînant dans la boue les responsables d’un domaine aussi sensible que celui de l’hébergement des enfants nécessiteux. Les chiffres démontrant que, de 1940 à 1949, notre pays a reçu 162642 enfants, venus d’une douzaine de nations différentes, tandis que les familles, à titre privé, assumaient 143000 parrainages1, comment imaginer que la Suisse ait pu pratiquer là le plus sordide des marchés? Et comment certains historiens, niant l’évidence, en viennent-ils à prêcher le révisionnisme le plus ultra afin d’injurier nos prédécesseurs?

Pour tenter d’expliquer une altération aussi grave de la relation avec notre passé, deux auteurs ont abordé le problème de deux manières différentes, mais complémentaires. Christian Favre2 dresse un panorama succinct mais bien étayé qui est une sorte d’inventaire des conditions politiques, économiques, humanitaires et militaires dans lesquelles notre pays dut lutter pour sa survie, alors qu’il était entouré par les puissances de l’Axe. Il ne cache pas les concessions que nous avons dû accorder, mais en les replaçant dans leur contexte de l’époque, ce qu’omettent sans sourciller les révisionnistes, qui voudraient illustrer ce jugement de Churchill: «Quand le présent s’érige en tribunal pour le passé, l’avenir est perdu…». Un élément précieux de l’ouvrage réside dans le grand nombre de témoignages réunis, venus de personnalités de premier plan, souvent fort éloquents mais trop peu connus, comme si nos autorités oubliaient de défendre une dignité nationale bafouée. Un ouvrage donc utile.

La seconde publication est au fond une sorte de testament3. Le testament d’un homme, Franz Muheim, qui, après avoir occupé les plus hautes fonctions politiques et économiques, éprouve le besoin de faire le point. A cet effet, il analyse les circonstances et leur déroulement dans le temps pour mieux comprendre les raisons d’un pareil dérapage. Il en voit l’origine dans le développement de la mentalité du consumérisme de l’après-guerre et par lui dans l’apparition du mouvement de 68, pour qui le postulat de base était «l’émancipation totale de l’homme, de son passé et de ses valeurs» et donc un système dans lequel «il n’y avait plus de place ni pour le travail, ni pour la religiosité, ni pour l’éthique, ni pour la spiritualité ou la culture…», par opposition aux structures de l’ancienne société, construite «sur le travail et une hiérarchie acceptée par tous».

Cette nouvelle société, d’obédience néo-marxiste, dans laquelle les règles morales, la considération du passé, les conventions sociales sont méprisées et jetées par-dessus bord, allait connaître un succès sans précédent grâce à un concours de circonstances diabolique – le développement inouï des médias! Ces nouvelles techniques de pointe en communication, si propices aux processus révolutionnaires, telles que la manipulation et la désinformation totalitaires, expliquent leur stupéfiante capacité d’infiltration de ces idées dans tous les coins et recoins de notre société; à preuve qu’elle en est restée imprégnée jusqu’à ce jour; à preuve aussi l’attitude des historiens révisionnistes citée plus haut. Ces idées se sont même banalisées au point qu’elles ont maintenant une grande part d’influence sur le comportement de toutes les couches sociales. Elles font partie de «l’esprit du temps» auquel la plupart d’entre nos contemporains se sont pliés, sous crainte de ne pas «être moderne», du simple pékin aux universitaires responsables du Rapport Bergier et aux plus hautes instances politiques – voire militaires! – du pays… De plus, certains personnages aujourd’hui à la tête d’institutions importantes – dans les médias ou ailleurs – ont, dans leur curriculum vitae quelques traces d’un passé révélateur à ce sujet…

Mais Franz Muheim va plus loin encore que ce remarquable survol historique. Il pense, avec raison, que le mouvement de 68 est «fils du matérialisme outrancier du monde moderne», dont il est l’un des rejets particulièrement actifs. Et sa vision gagne encore en altitude lorsqu’il déclare que «cette philosophie ne peut prétendre fournir de solution valable à l’interrogation fondamentale que se posent les Hommes […] D’ailleurs, la crise que nous vivons est une crise dans laquelle tout est critiqué, mais très peu proposé…» En fait, nous sommes au cœur d’un cercle vicieux, car le vide ainsi créé profite largement à la propagation de ce type de civilisation mortifère.

Notes:

1 Serge Nessi: La Croix-Rouge suisse au secours des enfants, Ed. Slatkine, Genève 2011.

2 Christian Favre: La Suisse avant et pendant la Seconde Guerre mondiale, Ed. Baudelaire, Lyon 2011.

3 Franz Muheim: Ma vision de la Suisse, Ed. de Penthes, Genève et InfolioEdtions, Gollion, 2011 

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