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«L’Horloge du fou se balade dans mon cœur»

Jean-Blaise Rochat
La Nation n° 1937 23 mars 2012

Les Editions de L’Aire publient le journal, les peintures et les dessins d’Alain Grand. Sous le titre L’Horloge du fou, c’est un beau volume1 de quelque deux cent cinquante pages qui serre l’œuvre complète – ou incomplète, hélas – de cet artiste fauché à vingt et un ans, en juin 1996, dans un accident d’automobile dont il n’était pas responsable. En son temps, la famille et les amis d’Alain Grand avaient déjà publié un petit volume d’extraits du journal; aujourd’hui, la version intégrale donne une meilleure perception de l’exceptionnelle trajectoire de ce météore des arts.

L’ouvrage est adroitement composé en présentant en contrepoint le texte et les œuvres visuelles. Ces dernières sont d’un artiste autodidacte inspiré, aux traits déjà personnels, mais qui cherche encore sa voie. Les reproductions des tableaux donnent une impression atténuée de leur effet, car le peintre avait l’habitude de travailler en grands formats. De cette peinture abstraite se dégage un singulier mysticisme que composent de violents bariolages ou de subtils camaïeux, des sortes de tags ou de grafs reconvertis, des constellations de taches. «Je peins pour grandir et élargir mon doute, pour creuser cette tranchée d’incertitude, pour me déstabiliser.» (13 Xi 1995) Les dessins présentent un monde très différent, souvent ironique, avec de curieux personnages, lutins croisés de phasmes, maigres comme des Giacometti, évadés d’un improbable conte. On notera la sûreté du geste dans de trop rares portraits, sculptés par des traits fins et précis.

Dans son journal, l’auteur brosse un bref portrait de lui-même: «Et alors moi! Qui suis-je? Alain; certes mais au-delà? Un être humain de sexe masculin, hétérosexuel, châtain clair, les yeux marron, 1m75 – 1m80, sensible, rêveur, peu courageux, angoissé, amoureux…» (27 Xii 1993). Né en 1975 dans un milieu plutôt aisé, cadet d’une fratrie de quatre garçons, il connaît un parcours scolaire sans gros obstacles à l’Ecole Vinet. A l’âge du gymnase, il rompt avec sa famille, mène une vie de vagabond à Lausanne, se lie avec des marginaux. Pendant quelques mois, il trouve refuge au Parachute, le foyer créé par Mère Sofia. Après son bac, il loge dans un petit appartement, se rend à Berlin, à Paris, aux Etats-Unis, revient toujours désenchanté de ses voyages. Vue de loin, cette existence peut paraître décousue et malsaine; or ce sont les mois les plus riches, ceux qui voient éclore la multiplicité de ses dons artistiques: théâtre, musique, dessin et peinture, et aussi le journal.

Ce journal est l’œuvre d’un véritable écrivain, et peut-être la partie la plus aboutie de sa création: le style est toujours en parfaite adéquation avec le propos, sans nulle propension à l’emphase, aux effets de manche, à la surcharge, si fréquente chez les diaristes de son âge. A-t-il songé que son journal serait un jour édité? Il n’a certes pas été écrit dans ce dessein, mais il est toujours rédigé avec soin, passant du lyrisme à l’ironie, avec des incursions dans un langage presque surréaliste. Un langage parfois cru contraste avec des métaphores originales. C’est un esprit tourmenté, mais qui sait prendre de la distance. Alain Grand a trop de vitalité pour se laisser submerger par la déprime ou le dégoût du monde. Son journal est un puissant moyen d’introspection et de découverte de soi, mais jamais égocentrique.

Il est captivant de suivre la transformation d’un adolescent en jeune homme dont la maturité s’exprime parfois avec la force et le détachement d’un maître spirituel, telles ces lignes datées du 26 février 1996:

Apprendre à se taire,
apprendre à regarder, à écouter.
Mais surtout se taire,
alors apparaît
la parole…

 

NOTES :

1 Alain Grand, L’Horloge du fou, Journal, Peinture, Dessins, Vevey, Editions de L’Aire, 2011, 255p.

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