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Après la décision

Olivier DelacrétazEditorial
La Nation n° 1987 21 février 2014

Les réactions au succès de l’initiative contre l’immigration de masse n’ont pas surpris. Les esprits moralisateurs «ont honte d’être suisses». L’EPFL et l’UNIL pleurent les bourses et subsides européens dont la Suisse sera probablement privée. Les inventeurs du «fédéralisme punitif» exigent que les contingents soient réservés aux cantons qui ont refusé l’initiative. On ne se rappelle pas qu’ils aient envisagé de soustraire le Valais à la nouvelle loi sur l’aménagement du territoire!

Certains proposent une promotion-sanction pour M. Blocher: qu’il aille lui-même traiter avec l’Union européenne, il comprendra sa douleur! On n’est pas plus adulte.

Il y a ceux qui n’acceptent pas le vote. Selon l’omniscient M. Christian Levrat, les suisses croyaient que l’initiative était compatible avec les bilatérales. Si celles-ci sont dénoncées, il exige qu’on revote. Des gens de gauche, discernant un profit électoral possible, n’hésitent pas à rendre «la droite» responsable du succès de l’initiative. Pas un mot sur le profil particulièrement bas adopté par le parti socialiste. «L’UDC, écrit M. Roger Nordmann1, est un parti qui ment. Vaudoises et Vaudois, au moment des apparentements et des élections, il faudra se rappeler les agissements des gentils représentants de l’UDC vaudoise.» Au fond, ce vote est du pain bénit pour la gauche: plus la suisse aura d’ennuis, et mieux on pourra s’en prendre à l’UDC.

A l’étranger, les blogs «de droite» admirent et envient les suisses. Ils pensent que leur vote influencera les élections européennes de mai. C’est peut-être vrai, mais la Suisse n’a pas pour vocation de prendre la tête des mouvements souverainistes européens. Sa fonction n’est que de défendre les intérêts de l’alliance fédérale et de ses membres. Le Conseil fédéral, jugeant que l’extension de la libre circulation à la Croatie était contraire à l’alinéa 4 de l’initiative2, a décidé de suspendre l’accord. C’était juridiquement correct, mais il eût probablement mieux valu faire traîner les choses. En réaction immédiate, l’Union européenne a «gelé» notre participation au programme européen de recherche «Horizon 2020», comme elle a gelé la participation de la Suisse à Erasmus, programme d’échange d’étudiants.

Quand on sait que la Turquie et la Macédoine, sans aucun accord de libre circulation avec l’Union, dont ils ne sont d’ailleurs pas membres, participent pleinement à Erasmus, on mesure le caractère mesquin et revanchard de la mesure. Son caractère idiot, aussi, puisqu’Erasmus amène, paraît-il, plus d’étudiants européens en suisse que d’étudiants suisses dans les universités européennes.

Confite dans la certitude de son infaillibilité, l’Union ne se demande pas un instant dans quelle mesure les déclarations infantilement provocatrices de la commissaire Viviane Reding et les menaces de l’ambassadeur de l’Union en suisse, M. Richard Jones, ont joué un rôle dans la décision suisse, prise tout de même à peu de voix de différence.

Ces annonces rétorsives sont-elles de simples effets de muscles destinés à impressionner la diplomatie suisse avant les négociations? S’agit-il au contraire d’une fuite en avant, d’une radicalisation de l’unification européenne, d’un avertissement brutal, sur notre dos, aux partis souverainistes des Etats membres? Avec des politiciens ordinaires, nous pencherions pour la première solution. Avec le pouvoir administratif de l’Union, c’est moins sûr. Ils sentent que les coutures de l’Union craquent de tous côtés. Le sondage commandé par le Blick a révélé que les peuples européens voteraient dans le même sens que les suisses, mais bien plus nettement. Et les élections approchent. Alors, les euroligarques se raidissent, à l’image de l’affreuse Mme Astrid Lulling, députée européenne luxembourgeoise: «Heureusement que nous n’avons pas de référendum, parce que je ne sais pas ce que ça donnerait chez nous. C’est à désespérer du droit de vote si les citoyens sont aussi bêtes.»3

L’interview télévisée de M. José Manuel Barroso, conduite par un incisif Darius Rochebin, renforce notre sentiment. Tout en protestant sur un ton papelard de son amour pour la suisse, le président de la Commission européenne a fait comprendre que pour lui, il n’y avait rien à discuter et que nous n’avions qu’une issue, venir à résipiscence.

Ce petit monde suffisant est vendu à son confort idéologique, moral et financier. Il fera tout ce qui sera en son pouvoir, et quel que soit le prix à faire payer par les autres, pour ne céder sur rien. Rappelons-nous comment ils ont traité la Grèce qui pensait pouvoir soumettre leur tutelle financière au référendum du peuple. Encore une fois, ce ne sont pas des politiques mais des administratifs, des idéologues, des dessus de pendule sans états d’âme et prêts à tout.

La Nation n’avait pas soutenu l’initiative, critiquable sur des points importants de politique interne et étrangère. Mais aujourd’hui, la Suisse a pris sa décision. Le réalisme politique commande que nous la faisions nôtre, d’autant plus qu’un suivi imaginatif peut rendre bonne une décision discutable à l’origine. De toute façon, nous sommes à l’eau, il faut nager.

Pensons aussi que la crainte peut être bonne conseillère. en 1992, ce sont les perspectives apocalyptiques dessinées par M. Delamuraz qui ont poussé nos entrepreneurs et nos industriels à se restructurer et à se moderniser pour, finalement, prendre le dessus.

«Ce n’est pas la fin du monde» a déclaré M. Burkhalter le soir du vote. Anticipant sur le sondage du Blick, il a ajouté que les Etats voisins connaissaient parfaitement les sentiments de leurs propres populations à l’égard de l’immigration. Il devra retourner à Berlin, puis à Paris. Il faudra sans doute consentir à pas mal de sacrifices pour obtenir un peu de compréhension.

On pourra faire valoir qu’aucun traité n’est à l’abri des changements et que le décuplement – ce n’est pas une manière de parler – du flux d’immigrés légitime des restrictions. Il devrait être possible aussi de faire comprendre que les rétorsions de l’Union léseront fatalement beaucoup de ressortissants européens.

Parallèlement, la suisse et les cantons devront utiliser tous les moyens que les conventions collectives et la législation mettent à leur disposition pour combattre plus efficacement le travail au noir, la sous-enchère salariale, les faux indépendants, les abus de l’aide sociale. Cela réduira les dysfonctionnements qui ont poussé beaucoup de citoyens à voter oui.

Enfin, n’oublions pas que les mécanismes suisses étatistes et centralisateurs continuent de fonctionner. On ne saurait s’en désintéresser sous prétexte de l’urgence et de la gravité de la situation. Face aux entreprises demandeuses de contingents, la Confédération devra se garder de céder à son éternelle tentation interventionniste. Quant aux cantons, qu’elle ne profite pas de la situation pour leur subtiliser des compétences, mais qu’elle les associe pleinement à ses travaux de mise en œuvre du nouvel article constitutionnel!

Notes:

1 «Comment l’UDC a menti aux suisses», 24 heures du 17 février.

2 «Aucun traité international contraire au présent article ne sera conclu.»

3 RTS, extrait du 10 février 2014.

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