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Classé confidentiel

Alexandre Bonnard
La Nation n° 1987 21 février 2014

«Un document […] dont notre rédaction a pu prendre connaissance.»

Voilà ce que vous pouvez lire fréquemment dans vos quotidiens préférés.

D’abord avec une certaine délectation: ah! Les coquins! Ah les cachottiers! On en apprend de belles! Ils ont été pris la main dans le sac! C’est comme un petit avant-goût du Jugement dernier où tout, mais alors tout, sera révélé (mais qui peut s’en réjouir?).

Ensuite une certaine gêne (ou non?). On voudrait savoir comment l’habile rédaction a pu se procurer une copie du document confidentiel, qui, dans l’administration, l’a livré, pourquoi, à quelles conditions, dans quel but. Vous ne le saurez probablement jamais, car le droit de la presse de refuser de donner ses sources est sacré, au moins autant que le secret de la confession. Évidemment il y a des enquêtes internes, plus ou moins poussées selon la gravité du cas et l’importance du dommage causé, l’ampleur des conséquences.

Il n’y a pas que la presse: dans tout l’univers de l’information, quelle joie, quel plaisir, pour celui ou celle qui détient un secret, de le révéler. Je ne dirai pas plaisir sans mélange, car mélange il y a toujours, en doses toujours variées, entre l’idéaliste pur, l’altruiste au service de l’humanité, du genre «lanceur d’alerte», et celui qui négocie durement la vente, au fisc américain, allemand, français, d’un disque dur valant des dizaines, des centaines de millions, bourré qu’il est de données volées à son banquier employeur, lequel croyait bien entendu à la solidité bétonnée, étanche, du secret bancaire alors que maintenant il ressemble plutôt à une passoire.

Dans la première catégorie, on placera bien entendu Edgar Snowden en tête, lequel doit figurer sinon sur la liste des papables, dans une prochaine fournée de béatifications puis de canonisations à Rome (le miracle consistant dans ses révélations elles-mêmes), du moins, à Oslo, dans la liste des prochains candidats au prix Nobel de la paix… alors qu’il risque l’enlèvement, l’assassinat (un drone est si vite arrivé) ou la peine de mort aux USA. Mais son plaisir planétaire est-il vraiment sans mélange? Qu’en savons-nous? Vraiment pur de toute idée de vengeance? Espérons-le.

Dans l’autre catégorie, à part la motivation bassement financière, serait-il possible de discerner une motivation subsidiairement, également, principalement, voire même exclusivement morale et civique lorsque le disque dur de valeur astronomique est offert gratis pro deo. A supposer qu’il existe de tels actes de désintéressement pur, vraiment pur, ces cas passent alors dans la première catégorie, sur le bon plateau de la balance de la justice… ah! Mais de quelle justice? S’ils ont le malheur de passer en suisse, ne serait-ce que pour un jour de ski, les voilà arrêtés, jugés, entre autres infractions pour vol de données, violation du secret bancaire et de fonction. Donc potentiellement martyrs. Bien entendu, notre jurisprudence devra (ou devrait) décider si et dans quelle mesure une motivation présumée non égoïste justifie une réduction de peine. Elle s’inspirera d’exemples connus dans d’autres domaines.

Secret de fonction (magistrats, fonctionnaires, banquiers); secret professionnel (notaires, avocats, médecins). En ce siècle où une des divinités les plus importantes et qui réclame son culte est la Transparence, exigeant de déchirer les manteaux de l’hypocrisie, d’étaler les turpitudes sans en oublier une, nous perçant tous jusqu’aux os, y compris la moelle, jusqu’au milieu du crâne (nos descendants verront à quel paradis terrestre ils accéderont ainsi), le maintien dans les lois et les mœurs d’un secret «obligatoire» de certaines professions va progressivement apparaître comme obsolète, rétrograde, réactionnaire, un scandaleux refus de participer au culte de dame Transparence.

C’est ici qu’apparaît une amusante collision: professionnellement, le journaliste doit en révéler le plus possible à ses lecteurs, moyennant les précautions d’usage, mais se retranche farouchement derrière son droit de refuser d’indiquer ses sources (sauf exception). En sens inverse, l’avocat doit en dire le moins possible. D’où cette formule que vous trouvez souvent dans vos quotidiens préférés, à l’occasion surtout d’affaires judiciaires juteuses et sulfureuses: «Contacté, Maître x se retranche derrière le secret professionnel.» Du moins vous apprenez grâce à votre journal qui est mandaté.

Pourtant, pourtant… il n’y a pas si longtemps, je demandais à un journaliste chevronné et bienveillant non pas la méthode usuelle de la presse pour se procurer et publier des faits couverts par le secret de l’enquête ou même encore inconnus des magistrats enquêteurs, mais seulement, ce qui était un peu jésuite, par quel miracle de tels faits parvenaient à la rédaction. Il a bien entendu senti le piège et m’a répondu en souriant que souvent, oui oui souvent, cher Maître, c’étaient les avocats (en particulier du bassin lémanique pour n’être pas trop précis) qui étaient leurs informateurs.

Et comment donc? Et le secret professionnel? Vous n’y êtes pas. L’avocat est maître du secret professionnel en ce sens que, même si son client l’en délie, il peut se retrancher derrière lui, généralement pour de bonnes raisons. En sens inverse, l’avocat, si tout bien pesé il estime opportun de donner un tuyau à la presse, dans le cadre de sa tactique de défense, peut convaincre son client qu’il est dans son intérêt de le délier. Et l’avocat est certain que jamais le journaliste ne révélera sa source. Dont acte.

Terminons par une question au lecteur. Il y a déjà bien des années, qui a révélé le fâcheux téléphone de Mme Elisabeth Kopp à son mari? Etait-ce la NSA, mais alors dans quel intérêt? Ou était-ce le modeste fonctionnaire des non moins modestes services secrets fédéraux qui était chargé de l’écoute permanente de tous les conseillers fédéraux, y compris «la», et qui n’a fait que son devoir?

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