Identification
Veuillez vous identifier

Mot de passe oublié?
Rechercher


Recherche avancée

Ombres et lumières du tourisme

Lionel Hort
La Nation n° 2156 28 août 2020

Contraste temporel saisissant: les préoccupations écologiques hier, la crise sanitaire aujourd’hui, ont donné un violent coup de frein au phénomène du tourisme de masse, cet aspect si caractéristique de la civilisation occidentale.

Avant la crise déjà, il était de bon ton de déplorer les nuisances causées par ce type de tourisme, tel qu’il se pratique en tout cas depuis l’apparition des congés payés et des vols à bas coûts. Si l’on vise en général à travers lui la critique de la société de consommation, reste que les pratiques touristiques sont particulièrement diverses et anthropologiquement dignes d’intérêt.

C’est à ces pratiques de loisir et à ces idées reçues que le Musée d’ethnographie de Neuchâtel (MEN) consacre une exposition temporaire intitulée «Le Mal du Voyage – pratiques et imaginaires touristiques» 1. Une dizaine de salles, joliment arrangées pour représenter des lieux touristiques typiques (cabine d’avion, plage, spa, etc.), présentent aux visiteurs des informations sous la forme de textes imprimés sur des objets ou suspendus aux murs. Des enregistrements et des petites projections complètent ces tableaux.

L’exposition aborde des thématiques variées, comme la signification du bronzage à travers les âges ou l’évolution du maillot de bain, et présente les bonnes ou les mauvaises manières de voyager au XXIe siècle, telles que l’éco-tourisme bobo, le wellness en pleine nature ou le tourisme chamanique.

Il est ainsi montré comment ces recherches d’évasion et d’authenticité, induisant de vastes mouvements de populations, finissent parfois par bouleverser les économies et les traditions locales, ici comme ailleurs. Des régions traditionnelles autrefois peu peuplées doivent alors rapidement s’adapter à l’imaginaire touristique sous l’effet de la pression marchande, amenant parfois à la rébellion des indigènes. Des manifestations hostiles à l’invasion touristique ont récemment eu lieu en Europe, à Barcelone et à Venise, protestant contre la standardisation galopante de ces villes, le bétonnage sauvage ou les loyers en augmentation constante.

La visite se termine par une interrogation sur ce que peut bien apporter la frénésie photographique et l’usage constant des réseaux sociaux à l’expérience touristique, et sur les nombreuses incivilités liées à la consommation de drogues ou à la prostitution. Une grande partie des expériences offertes par le tourisme de masse apparaissent en fin de compte comme participant d’une économie du préfabriqué et du fantasme, porteuse d’effets secondaires inattendus tant pour le visiteur que pour le visité.

L’exposition évite plutôt bien l’excès de moralisme. Elle ne manque certes pas, à l’étape de «la plage», d’évoquer les tragédies humanitaires liées aux migrations en général. Peu avant l’emballement du coronavirus, on avait d’ailleurs connu un rebond de la crise migratoire aux frontières grecques.

Derrière les photographies choquantes, on discerne pourtant l’image déplaisante d’une mondialisation où règne l’impératif marchand de mobilité, de distraction et de consommation, plutôt que celle d’un monde occidental renfermé et gris, ou du cliché d’une Europe forteresse inaccessible.

Où l’on voit que, lorsqu’ils ne sont pas victimes des pandémies, les morts de la mondialisation ne reposent pas tant aux pieds des barbelés ou des remparts que le long des routes et sur les plages, aux côtés des touristes indifférents et des parasols bariolés.

Notes:

1  Après une fermeture imposée par le COVID-19, l’exposition rouvre ses portes jusqu’au 29 novembre 2020. Plus d’informations au lien suivant:

   https://www.men.ch/de/agenda/detail-evenement/detail/exposition-temporaire-le-mal-du-voyage/

Vous avez de la chance, cet article est en accès public. Mais La Nation a besoin d'abonnés, n'hésitez pas à remplir le formulaire ci-dessous.
*


 
  *        
*
*
*
*
*
*
* champs obligatoires
Au sommaire de cette même édition de La Nation: