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Loterie romande: revoir tout le système

Guy Delacrétaz
La Nation n° 2161 6 novembre 2020

Les paris et autres jeux d’argent ont provoqué la ruine et la misère de nombreuses familles en Suisse, plus particulièrement chez les moins favorisés, nos aïeux. Ils ont donc été interdits et remplacés par la Loterie romande, la LoRo, sous la forme d’un concordat dont les cantons sont les seuls membres.

Les objectifs étaient clairs: offrir une solution de remplacement permettant à ceux qui le souhaitaient de jouer trois sous sans prendre le risque de tomber sous la coupe de patrons de tripots ou de ruiner leur famille. La LoRo veillait en contrepartie à ne pas proposer de jeux trop addictifs: pendant longtemps, elle s’est ainsi contentée de vendre ses billets hebdomadaires. Sans éviter évidemment toutes les addictions, les résultats plaidaient pour ce système. Aujourd’hui, il faut faire face aux casinos et aux jeux en ligne, grâce auxquels se goinfrent bien souvent des organisations internationales pas vraiment transparentes.

Une des caractéristiques indispensables d’une saine prise en mains des loteries et autres paris est la nécessité impérieuse d’interdire à celui qui les organise de disposer des bénéfices. Par là même, on évite la prolifération de jeux toujours plus addictifs.

C’est ainsi qu’ont été créés, dans chaque canton romand, des Organes de répartition des bénéfices de la LoRo. Ils n’ont pas d’ordres à recevoir d’elle, ni de comptes à lui rendre. Chez nous, ce sont la Fondation d’aide sociale et culturelle du canton de Vaud et la Fondation Fonds du sport vaudois.

Fondée en 1937, la Loterie Romande assure l’organisation et l’exploitation des jeux de loterie et des paris sportifs dans les six cantons romands. Elle distribue l’intégralité de ses bénéfices à ces organes de répartition. Charge à eux d’arroser les associations sans but lucratif actives dans de nombreux domaines, comme l’action sociale, la culture, le sport, l’éducation ou l’environnement de leur choix.

A l’échelon romand, en 2019, le revenu brut total des jeux fut de 408 millions de francs, dont 224,3, soit 54%, de bénéfices redistribués. La prévention et la lutte contre l’addiction reçoivent chichement 2,3 millions, soit 5,6 ‰, c’est-à-dire à peine un demi pour-cent…

Le reste paie les frais de fonctionnement de cette grosse machine (258 collaborateurs, revendeurs, etc.), ainsi que la création de nouveaux jeux attractifs.

Outre la part vaudoise affectée à l’utilité publique, 41,25 millions de francs, l’Etat de Vaud s’attribue 6% du total joué dans le Canton, soit 19 millions qui tombent directement dans sa caisse générale.

La Confédération a reçu la compétence de légiférer en ces matières en 2012. Après un référendum, la loi qui en découle a été approuvée en 2018. Ses «spécialistes» ont travaillé d’arrache-pied et l’usine à gaz est prête, avec notamment: ordonnances et directives, commissions, Conférence spécialisée, Autorité de surveillance, Comité, Tribunal des jeux d’argent, Concordats suisse et romand…

Tout ça est très technique et nous n’allons pas en faire une analyse exhaustive. Concentrons-nous sur ce qui semble l’essentiel pour les partis.

La Grand Conseil va se prononcer cet automne sur le Concordat proposé aux Cantons romands. L’observateur attentif distingue quelques escarmouches usuelles de forme sur l’Autorité de surveillance ou le Tribunal des jeux (pas assez transparents pour la gauche et adaptés pour le PLR); et dans la foulée sur les critères qui permettront à quelqu’un d’être membre du Conseil d’administration de la LoRo, et sur sa rémunération.

Mais voilà qu’une spécificité vaudoise va disparaître: la taxe qui rapporte 19 millions à la caisse générale de l’Etat sera supprimée. Le Conseil d’Etat pourra, en revanche, s’arroger la gestion d’une part d’au maximum 30% des bénéfices à redistribuer dans le Canton à des projets d’utilité publique, notion élastique s’il en est.

Ce montant ne sera donc pas à la libre disposition de l’Etat pour sa caisse générale, mais placera le Château en concurrence directe avec les organes de redistribution. On ne voit pas très bien l’intérêt de ce changement, si ce n’est celui de renforcer le potentiel de clientélisme des politiciens. Pour l’heure, l’Etat de Vaud a annoncé se contenter de 25%, ce qui fait tout de même une vingtaine de millions. Pour l’heure.

Il n’en fallait pas plus pour que les partis commencent à se disputer sur le sujet de haute politique vraiment digne de leur intérêt: qui va pouvoir distribuer ces 20 millions et qui nommera ces généreux donateurs?

Ce n’est pas que les organes de redistribution travaillaient mal, au contraire, mais leurs attributions ne rapportaient de suffrages à personne. Et ça, pour un démocrate de métier qui se respecte, ça ne saurait persister.

Un mot encore sur les montants réservés à la lutte contre l’addiction (prévention et soins): 0,56% du revenu brut des jeux. Juste une aumône alors que le phénomène n’a pas disparu et que nombreux sont ceux qui en subissent aujourd’hui encore des conséquences: ruine, dénuement, divorces, etc. Avec souvent des effets collatéraux qui peuvent être dramatiques, pour les enfants notamment. Les socialistes en font bien la remarque, on se réjouit de les voir mener un vrai combat. Ils auront notre soutien. Le PLR, lui, y trouve son compte.

Il y a bien sûr le très critiquable Tactilo, sorte de machine à sous implantée par la LoRo dans les salles des bistrots, qui est très addictive. Mais il y a aussi un état d’esprit. Un ancien président de la LoRo se présentait avec fierté comme «le premier mécène romand». C’était même le titre de son ouvrage. Dès lors que sa vision était que la LoRo soit maintenue dans ce statut particulier, il en était venu à la considérer, nolens volens, comme étant «la» bénéficiaire de ses propres bénéfices. D’où peut-être la persistance du maintien du Tactilo, en dépit de nombreuses critiques. Est-ce la vision qui guide aujourd’hui la direction de la LoRo?

Il faut plutôt considérer cette évolution comme attendue dès lors que la formule en vigueur a montré ses limites. Maintenant que notre «loterie officielle» est placée, libéralisme oblige, en concurrence directe et brutale avec les jeux en ligne et les casinos, ces grands faiseurs d’addiction, c’est l’entier du chapitre des jeux de hasard qu’il faudrait revoir. Qu’est-ce qui est autorisé en Suisse et qu’est-ce qui ne l’est pas? Faut-il admettre encore les casinos et les jeux en ligne? Sur quoi légiférer? Quelle est la composante de bien commun à privilégier dans ce domaine? Tout reste à (re)faire.

Notes

1  En Suisse alémanique, le pendant de la LoRo est Swisslos.

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