Identification
Veuillez vous identifier

Mot de passe oublié?
Rechercher


Recherche avancée

L’Alsace reconstituée et les trop grandes régions

Jean-François Cavin
La Nation n° 2161 6 novembre 2020

L’Alsace historique, dont l’unité géographique, linguistique, culturelle et viticole est assez prononcée, n’avait plus d’identité politique ou administrative depuis la dernière réforme territoriale française. Composée de deux départements, le Haut-Rhin et le Bas-Rhin, elle appartient à la région Grand Est, avec la Lorraine, les Ardennes et la Champagne. Quoi de commun entre Strasbourg et Reims? Il semble que les Alsaciens n’aient pas beaucoup apprécié d’être ainsi noyés dans ce vaste ensemble, qui paraît artificiel.

Un article de M. Pierre Schaeffer paru dans la Tribune PLR attire notre attention sur un changement programmé pour le début de l’an prochain. L’Alsace a obtenu un statut original, sous le nom de «collectivité européenne d’Alsace». Les deux conseils départementaux seront fusionnés en une assemblée unique; la nouvelle entité exercera ses compétences en matière linguistique (bilinguisme), touristique, et surtout de coopération transfrontalière avec ses voisins, les Länder du Palatinat et du Bade-Wurtemberg et les deux demi-cantons bâlois. Mais les deux départements subsisteront, avec leurs préfectures, pour les tâches administratives déléguées à ce niveau par la République; et l’Alsace partiellement retrouvée continuera à faire partie de la région Grand Est pour les autres attributions régionales. En attendant de se séparer de la Lorraine, des Ardennes et de la Champagne? C’est ce que prévoit M. Schaeffer, qui imagine en outre que le cas alsacien puisse servir de modèle ailleurs, notamment pour les départements de la Savoie et de la Haute-Savoie qui regagneraient ainsi leur unité historique et se sépareraient de l’immense région Auvergne-Rhône-Alpes.

Le découpage territorial de la France métropolitaine nous laisse interrogatifs et perplexes. Interrogatifs parce qu’il est difficile de juger de sa pertinence depuis l’extérieur, sans en vivre le double aspect de l’autonomie des circonscriptions (très faible, mais réelle en quelques matières) et de la décentralisation de l’appareil administratif étatique. Perplexes parce que les réformes successives tendent à montrer que notre grande voisine peine à trouver une organisation intérieure satisfaisante.

La France moderne, depuis deux siècles, connaissait des départements, longtemps au nombre de 89, puis davantage avec le fractionnement de la couronne parisienne. Ces circonscriptions, pour l’essentiel purement administratives au départ, ont vu leur autonomie s’affirmer modestement en matière de développement économique, lié à certains aspects de l’aménagement local du territoire. Les départements étaient peut-être souvent des créations artificielles à l’origine, mais avec une population qui oscille entre 200’000 et 1’000’000 d’habitants (hormis ceux qui comptent des grandes villes), ils conservent une taille qui rend possible un sentiment de voisinage. Il nous souvient d’un voyage d’étude, il y a une trentaine d’années, dans le Morbihan; avec quelque 500’000 habitants, il avait la grandeur d’un canton suisse de belle envergure; ses responsables économiques avaient des projets, disposaient de quelques moyens et agissaient selon une certaine communauté de vues; cela sous l’autorité reconnue du président du Conseil général, également sénateur, qui n’était autre que Josselin de Rohan-Chabot,duc de Rohan, habitant le château de Josselin au coeur du département!

Puis vinrent les régions «première manière», instituées progressivement de 1960 à 1982, au nombre d’une trentaine, correspondant souvent plus ou moins aux anciennes trente-quatre provinces de l’Ancien Régime. C’est alors qu’on se mit à parler de «Rhône-Alpes» ou de «PACA» (Provence-Alpes-Côte d’Azur). Ces entités paraissaient bien assez vastes pour qu’on y gérât les problèmes des grands équipements, des transports terrestres régionaux, de la promotion touristique. La raison d’être de leur remplacement par les «grandes régions», sous la présidence de François Hollande en 2016, reste donc mystérieuse à nos yeux; d’autant plus que les contrées à fort développement urbain comme l’Ile de France ou PACA étaient déjà constituées en régions et ne changeaient pas. Toujours est-il que le nombre des régions fut réduit à 13 – sans compter les territoires d’Outre-mer – et qu’on vit naître le Grand Est, les Hauts-de-France, l’Occitanie, la Nouvelle-Aquitaine (de Limoges à Biarritz!).

Ces vastes entités sont dotées d’un Conseil régional (élu) et d’un Conseil économique, social et environnemental (nommé par le préfet). Elles ne jouissent pas de l’autonomie législative, mais peuvent édicter des règlements. Elles disposent de quelques compétences propres: gestion des lycées, politique d’accès à la formation professionnelle, transports régionaux, élaboration d’un «schéma de développement économique», tourisme, culture de proximité (musées régionaux, bibliothèques), établissement de «contrats urbains de cohésion sociale» (?…, n.d.l.r.). Comme nous sommes en France, tout cela reste cadré par l’Etat, encore plus présent dans quelques domaines de «compétence partagée»: aménagement du territoire et développement durable, schémas régionaux de biodiversité, soutien à l’enseignement supérieur. La grande région, en outre, constitue, à mi-chemin entre la République et les départements, une circonscription décentralisée de l’administration étatique, sous la conduite du préfet de région.

Avec la sensibilité du confédéré helvétique, on ne discerne pas l’adéquation entre l’aire territoriale et les compétences, surtout pour les grandes régions nouvellement créées (pour d’autres, telles que la Bretagne ou la Corse, demeurées inchangées en 2016, on est moins sceptique). Entre Nîmes et Perpignan, entre Poitiers et Pau, même entre Besançon et Dijon, quel intérêt à unifier la gestion pratique des lycées ou le statut des bibliothèques? Même la promotion touristique ne joue pas les mêmes atouts entre contrées aux caractères différents. Le sommet de l’absurde nous semble atteint avec la région Auvergne-Rhône-Alpes: quels projets communs entre Grenoble et Clermont-Ferrand? Même en matière de transports régionaux, si l’on y inclut des liaisons ferroviaires à moyenne distance et des aéroports de petite taille, rien ne rapproche les vallées alpines et le Massif central.

Pour le fédéraliste d’un canton suisse, la France fait décidément tout pour éloigner le pouvoir du citoyen. Et l’on s’étonne que les Gilets jaunes manifestent? On verra si la réforme alsacienne est l’amorce d’un changement.

Vous avez de la chance, cet article est en accès public. Mais La Nation a besoin d'abonnés, n'hésitez pas à remplir le formulaire ci-dessous.
*


 
  *        
*
*
*
*
*
*
* champs obligatoires
Au sommaire de cette même édition de La Nation: