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Quo vadis America?

Alain Charpilloz
La Nation n° 2161 6 novembre 2020

L’article ci-dessous a été écrit dans l’ignorance du résultat de la votation américaine. L’intérêt des considérations de M. Charpilloz justifie toutefois sa publication.

 

Le monde entier a été saisi d’étonnement devant les élections présidentielles américaines, par les candidats et la pauvreté des débats qui les opposent, compensée par la violence verbale. Comment en est-on arrivé là?

On peut évidemment dénoncer les Etats-Unis en tant que tels. Les orphelins d’Hitler, de Staline et de Louis XIV ont de bonnes raisons de le faire. Mais au-delà des préjugés, il faut se demander pourquoi un pays aussi incroyablement inventif et novateur (que seraient le cinéma, la musique et l’informatique sans lui?), refuge d’artistes et de savants du monde entier, pépinière d’écrivains, de cinéastes, d’architectes et de penseurs ayant modelé le monde d’aujourd’hui, en est réduit à un choix présidentiel aussi décevant.

Pour qui observe l’évolution politique des Etats-Unis, l’un des phénomènes les plus frappants est le fossé qui s’est amplifié depuis une quarantaine d’années entre les partis démocrate et républicain. Ce clivage, qui n’a cessé de s’accentuer, est peut-être dû à l’effondrement du communisme, qui soudait malgré tout les protagonistes dans l’aversion que le stalinisme, même dans ses avatars ultérieurs, suscitait dans la société américaine.

D’une certaine manière, les avancées soviétiques créaient un consensus entre démocrates et républicains quant à la nécessité de s’y opposer, et de les contenir par conséquent. Au-dessus des divergences, on trouvait donc des «valeurs partagées», qui poussaient au compromis plutôt qu’à l’affrontement, du moins sur le thème des relations internationales. C’est pourquoi la politique étrangère des USA a été fort peu marquée par l’alternance des partis au pouvoir. De Kennedy à Nixon, de Carter à Bush ou de Reagan à Obama, les différences portèrent moins sur le fond que sur le style.

Une fois le communisme effondré dans l’empire soviétique et converti au stato-capitalisme en Chine et au Vietnam, ce qui produisait du consensus aux Etats-Unis fit défaut. On monta en épingle les attentats du 11 septembre  pour en recréer un. En réalité, ce qui unissait le peuple au-dessus des divergences internes avait disparu. Autrement dit, les fractures propres à la société américaine pouvaient se manifester sans retenue dans l’arène politique.

Le système constitutionnel du pays, hérité du bi-partisme anglais, mais augmenté d’un fédéralisme historique, a approfondi le clivage, le portant à son incandescence aujourd’hui. Le bi-partisme anglais évitait le fractionnement du parlement en groupes éclatés, typique de la représentation «à la proportionnelle». Ce morcellement a tendance à paralyser l’exécutif, en recherche incessante de soutiens incertains. Ce fut le vice de la IVe République française, de l’Italie jusque dans les années nonante du siècle passé, et peut-être une grande difficulté pour Israël aujourd’hui encore.

Après l’écroulement de l’empire soviétique, les divergences intra-américaines purent donc se déchaîner. Mais de quoi étaient-elles faites? Les deux partis en lice ont compris qu’ils devaient chercher des «clientèles», l’exercice du gouvernement laissant peu de place aux utopies. On l’a vu très tôt dans une ville comme New York, où les Démocrates ont organisé une véritable «chasse aux minorités» afin d’engranger leurs suffrages. Les Républicains ont vite suivi le mouvement.

On a donc assisté à un phénomène un peu masqué dans le passé, mais criant aujourd’hui, à savoir que les deux grands partis qui se disputent la direction du pays ne sont plus d’abord les porte-parole d’idées générales, mais sont devenus ceux de communautés spécifiques, coalisées en une sorte de cocktail: Noirs, Irlandais, Mexicains, Juifs, ouvriers de la métallurgie, «évangéliques» protestants, agriculteurs, écologistes, homosexuels, fonctionnaires fédéraux, militaires, féministes, racistes, libre-échangistes, Chinois, etc.

Ce morcellement de l’électorat – et la nécessité de s’assurer des fidélités sur des objets ponctuels – mine le débat électoral pour la présidence, puisque chaque candidat ne parle pas en fonction d’un projet global qu’il pourrait défendre, mais en vue des suffrages qu’il espère gagner, en flattant telle ou telle catégorie d’électeurs.

Il faut y ajouter un trait marquant des campagnes américaines: leur médiatisation extrême, avec l’ajout des réseaux sociaux depuis l’ère Obama. Comme les «projets» sont volontairement vagues (toute précision risquant de vous coûter des voix), c’est l’affrontement verbal direct, voire les insultes réciproques, qui meublent un débat vide d’idées élaborées. Les acteurs n’en sont pas la cause, mais l’effet.

C’est un tournant dans nos sociétés se disant démocratiques. Et ce dont il faut se souvenir, c’est que les Etats-Unis ont été depuis plus d’un siècle l’anticipation de ce qui arrive en Europe.

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