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Enfin une santé sexuelle sympa

Jacques Perrin
La Nation n° 2165 1er janvier 2021

On peut être nidwaldienne, blonde, jolie, issue d’un canton conservateur, et professer une synthèse parfaite de la morale libertaire. Migros Magazine du 30 novembre 2020 interroge Mademoiselle – contrevenons aux nouvelles règles de politesse – Noemi Grütter, 25 ans, coprésidente du Réseau jeunesse de Santé Sexuelle Suisse, à propos d’une campagne de sensibilisation sur le thème de la masturbation.

Santé Sexuelle Suisse est la faîtière des centres de santé sexuelle, partenaire de l’Office fédéral de la santé publique. La santé sexuelle, nous dit son site, est définie comme un état de bien-être physique, émotionnel, mental et social tout au long de la vie. Cette définition implique la promotion et la protection des droits sexuels pour toutes et tous […] Nous nous engageons à apporter un changement social durable vers une société ouverte, égalitaire sexuellement, positive et solidaire.

La santé sexuelle, c’est donc le bonheur, vers lequel quelques fonctionnaires fédéraux nous conduisent.

Santé Sexuelle Suisse s’adresse à des individus politiquement indéfinis, se rattachant à des groupes grossièrement dessinés (les femmes, les ados, les LGBT…), tous pourvus de droits tombés d’on ne sait où: Ils ont droit à la sexualité et au plaisir […] on plaide pour une éducation basée sur les droits humains à une vie sexuelle, à la liberté de vivre son identité de genre et son orientation sexuelle. La liberté est première, immédiatement accouplée (si l’on ose dire…) à l’égalité. Quels que soient leur sexe, leur genre, leur âge, leur nationalité ou leur apparence physique, les individus considérés se muent en victimes si leurs droits ne s’actualisent pas.

Il semble que les femmes soient systémiquement discriminées. Celles qui se masturbent passent pour hypersexuelles et perverses tandis que les garçons ne font que céder à des pulsions. Et pourtant leur corps leur appartient, aux filles, y compris ce qu’il contient, un fœtus par exemple, dont elles peuvent se débarrasser, car elles ont droit à l’avortement. Remarquons en passant cette étrange dissociation entre la personne et son corps. Le corps est objectivé comme une propriété, un capital à gérer.

Après la liberté et l’égalité viennent la santé et la sécurité. Il faut des relations sexuelles beaucoup plus saines, protégées et respectueuses […] la masturbation est une pratique saine […] les hormones du bonheur, les endorphines, sont libérées durant l’acte […] La masturbation, pour être saine, doit néanmoins rester une pratique intime, exercée avec respect et bienveillance. Que la masturbation puisse procéder d’un manque et d’une solitude douloureuse est un mythe.

La transparence aussi est une valeur. Noemi Grütter lève le voile […] Il y a un tabou encore aujourd’hui autour de la sexualité […] Les enfants ont honte de dire qu’ils se masturbent.

Seules la science (qui décrit les endorphines…) et la technique (qui modélise le clitoris en 3D…) sont capables de briser le tabou. La science lève les controverses: les enfants ont besoin de faits scientifiques, et non d’opinions, c’est pourquoi il est vivement recommandé aux écoles de travailler avec des éducatrices et éducateurs en santé sexuelle.

Liberté individuelle et égalité, avalanche de droits, transparence, sécurité, scientificité, santé, tout y est. Les acteurs solidaires montent sur scène. Il s’agit d’officines étatiques et paraétatiques où se déversent éducateurs, psychologues, sociologues, statisticiens, chercheurs et chercheuses que nos universités produisent à jets continus.

Si le bonheur est à portée de main (c’est le cas de le dire…), il faut néanmoins écarter des obstacles, vaincre des ennemis: par exemple l’esprit conservateur, et certains partis de droite ; les familles avec un déni de féminisme ; les forces conservatrices et fondamentalistes pour lesquelles les actes d’autodétermination et de rébellion contre le patriarcat sont dérangeantes ; les raisons religieuses et familiales qui empêchent de parler ; une prof de 65 ans qui a peut-être beaucoup d’idées reçues ; et pour finir l’humour, car évoquer la masturbation sous forme de blagues, ce n’est pas très sain.

Mettons-nous dans la tête que Santé Sexuelle Suisse n’enseigne pas une nouvelle morale. La morale, c’est mal: Il n’y a pas de règles. On ne cherche pas à mettre la pression. Il y a des personnes asexuelles. C’est aussi normal.

Il y a donc donc des normes? Cette question nous renvoie à un article de Lucie Monnat dans 24 heures du 10 janvier 2020 où la journaliste s’en prenait à ceux qui critiquent le moralisme de Greta Thunberg, des féministes et du mouvement MeToo. Pour Lucie Monnat, les antiféministes sont des faibles n’ayant aucun argument sérieux : la dénonciation (par les féministes, réd.) de certains agissements jusqu’ici tolérés ne signifie pas que l’on s’offusque aujourd’hui davantage au nom d’une prétendue morale. Les écoféministes ne sont pas des mères la morale. C’est seulement le rapport de force qui a changé; elles sont du bon côté de la force. Il s’agit d’un changement sociétal, d’un immense bouleversement ; le curseur des mœurs, du tolérable et de l’intolérable s’est déplacé, les vieux mâles blancs ne sont plus dans le sens de l’histoire.

En réalité, être amoral est impossible, car les mœurs, la morale et ses déviances moralisatrices découlent de la nature sociale de l’homme. Seuls certains individus libres de tous liens, comme César Borgia ou Sade, pourraient passer pour amoraux. Nietzsche se situait par-delà le bien et le mal. Il opposait pourtant la morale des maîtres à celle des esclaves et se montrait d’une douceur exquise avec ses amis.

Les normes demeurent: «pas de tolérance pour les ennemis de la tolérance» ou «il est interdit d’interdire» sont des règles sévères.

Nous rejetons les injonctions de Santé Sexuelle Suisse, leur hygiénisme, leur scientisme, et surtout leur déni naïf du mal et des déséquilibres de l’existence.

Noemi Grütter devrait se fier à la prof de 65 ans, riche d’une expérience de vie moins sommaire que celle de Santé Sexuelle Suisse.

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