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Lentement mais sûrement, la répression pénale progresse

Julien Le Fort
La Nation n° 2169 26 février 2021

L’expression «Etat de droit», utilisée à tort et à travers, est pertinente en droit pénal; elle trouve sa concrétisation dans l’adage nulla poena sine lege: une personne ne peut être poursuivie et punie qu’à raison d’actes qui, en vertu de la loi, sont interdits. Cela paraît intuitivement juste. Et cela se pratique hors du contexte pénal: je me souviens de camps scouts où l’on commençait par établir une charte constituée d’une série de commandements dont le non-respect menait à une sanction. La sanction est d’autant plus acceptée et efficace que l’infraction correspond à la violation d’une norme reconnue dans la communauté.

Vu sous l’angle de la liberté, ce principe implique que, si un comportement n’est pas explicitement interdit par la loi, il ne peut pas donner lieu à une sanction. La règle selon laquelle ce qui n’est pas interdit est permis trouve tout son sens en droit pénal. En outre, les pénalistes ont toujours compris le rôle du droit pénal comme subsidiaire, en insistant sur le fait que le droit pénal serait «l’ultima ratio» pour rétablir l’ordre.

Toutefois, au XXe siècle en particulier, avec la dégradation des mœurs et du contrôle social, le droit pénal a crû. Cela s’est manifesté de plusieurs manières.

D’abord, et depuis assez longtemps, quasiment toute nouvelle loi (fédérale) comprend une disposition pénale qui permet de sanctionner les violations de ladite loi. Avec l’inflation législative, les normes pénales sont devenues extrêmement nombreuses. Ainsi, la liberté et la sécurité juridique en ont pris un coup car le citoyen ne peut plus consulter le Code pénal et considérer qu’il a sous les yeux un catalogue exhaustif des comportements interdits par le droit pénal.

Ensuite, alors que les infractions sont en principe réprimées lorsqu’elles sont commises intentionnellement, la répression d’infractions commises par négligence s’est installée. Pour que cela soit formellement acceptable, la négligence n’est réprimée que lorsque la loi le prévoit. Admettons la répression d’infractions par négligence lorsque cela est prévu explicitement par l’infraction en question et que cela paraît nécessaire pour des motifs de justice (homicide par négligence, par exemple). En soi, c’est déjà une avancée du droit pénal (à la façon du désert qui avance) car elle aboutit à sanctionner des personnes qui n’ont pas voulu faire le mal. Toutefois, le législateur a franchi une étape supplémentaire, dans la loi sur la circulation routière, en prévoyant que, de manière générale (pour toutes les infractions), «la négligence est aussi punissable» (art. 100 LCR). A l’avenir, cette règle pourrait être adoptée dans d’autres domaines également. La sanction étend ses tentacules.

Au début des années septante, le Tribunal fédéral a consacré le principe de la «commission par omission». Selon ce principe, celui qui a une obligation juridique d’agir mais qui s’abstient en connaissance de cause commet une infraction si les éléments constitutifs de l’infraction sont par ailleurs réalisés. On connaissait déjà cela d’une certaine manière dans l’infraction appelée «omission de prêter secours», parce qu’il en allait de la vie d’un homme à sauver. Avec la généralisation de la commission par omission, codifiée dans la grande réforme du Code pénal de 2007, toute infraction peut désormais (théoriquement) être commise par un comportement passif. La sanction étend ses tentacules.

En parallèle de la grande réforme de 2007, le législateur fédéral a également créé la responsabilité pénale des entreprises. Jusque-là, on s’en était tenu à l’adage societas delinquere non potest. Toutefois, le législateur a ressenti le besoin de rendre les entreprises elles-mêmes punissables lorsque des personnes se réfugiaient derrière elles. Le cas d’école est celui d’un excès de vitesse commis avec un véhicule d’entreprise dont l’entreprise n’est pas en mesure de dire qui le conduisait. On a donc créé une base légale pour pouvoir punir les entreprises à titre subsidiaire, lorsque leur défaut d’organisation empêchait l’identification de l’auteur d’une infraction commise dans le cadre des activités de l’entreprise. La sanction étend ses tentacules.

Dans un second temps, dans le contexte de la mondialisation, de la lutte contre le blanchiment d’argent et contre la corruption, le législateur – respectant en cela (scrupuleusement) des engagements internationaux pris par la Suisse – a créé une base légale qui permet de punir l’entreprise en plus des personnes physiques lorsqu’il peut être reproché à l’entreprise de n’avoir pas pris toutes les mesures nécessaires pour empêcher telle infraction commise en son sein. Ainsi, pour un certain nombre d’infractions1, alors même que l’infraction ne peut rendre coupable que celui qui l’a commise avec conscience et volonté, cette infraction peut être imputée à une entreprise parce que celle-ci a été négligente et n’a ainsi pas empêché la commission de l’infraction par un employé félon. L’entreprise peut alors être sanctionnée d’une amende d’un maximum de 5 millions de francs. La sanction étend ses tentacules.

Ces quelques développements montrent à quel point le droit pénal, censé être un instrument de dernier recours de l’Etat, est devenu une arme très utilisée. Il ne s’agit pas de répression pénale arbitraire, certes. Toutefois, ce recours intensif au droit pénal pour guider les personnes donne le sentiment d’une fuite en avant et d’une perte d’influence de l’Etat. L’Etat se cabre parce que les choses lui échappent.

Notes:

1    Art. 102 al. 2 CP. Cela s’applique uniquement pour certaines infractions relevant de la criminalité «en col blanc» dont le blanchiment d’argent et la corruption.

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