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SOS communes

Félicien Monnier
La Nation n° 2169 26 février 2021

Par facture sociale, on entend les dépenses occasionnées par l’application de la loi vaudoise sur l’organisation et le financement de la politique sociale (LOF). L’art. 2 de cette LOF renvoie à toutes les autres lois cantonales dont elle garantit le financement. Les domaines qu’elles recouvrent sont aussi multiples et divers que la santé publique, l’emploi, l’accueil de jour, l’aide aux études et à la formation professionnelle, les assurances sociales ou encore l’avance des pensions alimentaires.

En 2020, la facture sociale s’est élevée à 1,8 milliard de francs. L’Etat et les communes se partagent cette somme pour moitié. Son augmentation est répartie différemment, à raison d’un tiers pour les communes et de deux tiers pour l’Etat. Cela signifie concrètement que la participation des communes est versée grâce au produit des impôts communaux. Devant consacrer une part importante de leurs rentrées fiscales au paiement de la facture, les communes voient leur marge de manœuvre et d’investissement diminuer. Cela a, durant les années 2019 et 2020, créé d’importantes tensions entre l’Union des communes vaudoises (UCV) et l’Etat de Vaud.

A la fin de l’été 2020, l’UCV a abouti avec l’Etat de Vaud à un accord de rééquilibrage de la facture sociale. La somme de 150 millions sera, à partir de 2028, déduite de la somme due au total par les communes. De 2021 à 2027 interviendra un rééquilibrage progressif, commençant cette année à 25 millions.

La conclusion de cet accord ne satisfait pas tout le monde. On se souvient qu’en octobre 2020, le Conseil communal de Pully a décidé de suspendre le paiement du quatrième acompte de la facture sociale, pour une somme de 10 millions de francs. A la même période, des communes ont recouru au Tribunal cantonal contre les factures d’acomptes 2019. Ces communes frondeuses sont fortunées et plutôt bourgeoises: Mies, Crans-près-Céligny, Rolle, Paudex… Elles se retrouvent généralement au sein de l’Association de communes vaudoises (AdCV), réunissant les communes les plus riches du Canton, majoritairement situées sur La Côte.

Ajoutant à la grogne de ses membres la volonté d’une action politique, l’AdCV a lancé une initiative législative tendant à la réforme de la loi sur l’organisation et le financement de l’action sociale vaudoise (LOF). Il s’agit de l’initiative «SOS communes».

Le principe en est simple: l’intégralité de la facture sociale est mise à la charge du Canton, les communes ne participant d’aucune manière à son financement. Une bascule de la part des communes en faveur du Canton de 15 points d’impôts sert de mesure d’accompagnement. Selon les initiants, le montant de la bascule représenterait la contribution moyenne des communes à la facture sociale, soit environ 900 millions de francs. A les en croire, cela autoriserait le Canton à engager les 500 millions de francs qu’il se vantait chaque année (avant la pandémie), par la voix de Pascal Broulis, de cumuler en excédents. De son côté, l’Etat de Vaud n’aurait pas le droit – simultanément à l’adoption de l’initiative – d’augmenter les impôts pour compenser la reprise à sa charge de l’entier de la facture sociale1. Les communes seraient quant à elles libres de diminuer ou d’augmenter leurs impôts. La baisse ne saurait cependant être automatique. Cette décision demeurerait entre les mains des conseils communaux ou généraux.

Cette initiative est ambiguë à plus d’un titre. Simple dans son mécanisme, elle peut paraître plaisante. «C’est l’occasion de faire comprendre au Canton qu’il doit assumer de payer toute sa facture sociale», doit-il se murmurer dans les carnotzets. Elle nous paraît cependant un peu trop schématique pour ne pas risquer de compliquer encore plus le buisson touffu de la péréquation intercommunale. On ne saurait de même l’aborder sans rappeler l’enchevêtrement des compétences cantonales et communales dans la conduite de l’action sociale: les agences régionales d’assurances sociales sont dirigées par des municipaux des régions concernées. L’action sociale vaudoise n’est pas un monolithe entre les mains du Canton. A tout le moins pas autant que le laisse entendre l’initiative.

L’éditorial du présent numéro conclut sur la nature politique spécifique de nos communes: des communautés à part entière, mais interpénétrées avec l’Etat, qui fixe leurs contours.

Il ne peut être totalement exclu que cette initiative soit, de manière inconsciente, une façon de s’en prendre à la facture sociale elle-même. Les municipaux PLR de Pully ou de Rolle ne doivent de toute manière pas voir l’augmentation permanente des dépenses sociales d’un très bon œil. Nous serons facilement tentés de les suivre dans leur critique de principe. Mais cette initiative est-elle le bon moyen de juguler les envies dépensières de l’Etat de Vaud tout en redonnant de l’air aux communes? Nous en doutons. Actuellement, la participation des communes à la facture sociale leur donne un argument de négociation. L’Etat de Vaud ne pourra pas supporter de voir l’obstruction de Pully faire des émules. En donnant l’intégralité de la facture sociale à l’Etat, on l’autorise du même coup à lui faire prendre l’ascenseur. Certains députés-municipaux du Grand Conseil pourraient soudain être moins enclins à refuser une nouvelle dépense.

L’existence d’un référendum des communes permettrait, en amont, de limiter les charges de la facture sociale. Il exprimerait la force des communes tout en évitant la crise institutionnelle. Le temps est peut-être venu d’y penser.

Notes:

1    L’efficacité réelle de cette disposition est discutable. Les impôts généraux sont, par définition, détachés de leur affectation. Il semble difficile d’interdire explicitement au Canton d’augmenter les impôts pour le financement de la facture sociale.

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