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Danser l’effondrement

Jean-Blaise Rochat
La Nation n° 2169 26 février 2021

 «Et je dis merci à la vie, je lui dis merci, je chante la vie, je danse la vie…»

(Le scribe Otis,
dans le film Astérix et Cléopâtre
)

En septembre 2018, l’Eglise réformée de notre Canton nous invitait à découvrir «les nouveaux ministres des Eglises réformées romandes comme [nous] ne les [avions] jamais vus» dans un petit clip vidéo de quatre minutes, toujours disponible en ligne: il suffit d’entrer dans un moteur de recherche «eerv danse la vie». Que font les dits ministres? Ils dansent, s’arrosent avec l’eau d’une fontaine, se livrent à mille plaisantes agaceries sur une chanson de George Ezra: «My love, my lover lover lover I’am in Paradise whenever I’m with you…» C’est sympa, légèrement débile, et parfaitement vide de tout message chrétien. Les auteurs de cette pathétique mise en scène sont très naïfs de croire que le public puisse être intéressé à faire le petit train ou des bulles de savon avec des pasteur.e.s, du toboggan avec un diacre en pantacourt. Si on n’éprouve pas un haut-le-cœur devant ces pitreries, on peut y voir, avec beaucoup d’indulgence, l’expression d’un bonheur simple et convivial, un peu factice; mais Dieu, là-dedans? Ubi est Deus eorum? (Ps.78)

Cette manifestation de religion fun a révolté un jeune journaliste, Raphaël Pomey. Il n’y va pas par quatre chemins: «Découvrir ce clip, pour le dire sans détour, a été un choc plus intense en moi que la diffusion en direct, 17 ans auparavant, des images des tours de Manhattan en train de s’effondrer. […] A 35 ans, ces images de pasteurs-comme-je-ne-les-avais-jamais-vus ont imprimé en moi la vision terrifiante d’un tout autre affaissement, peut-être décisif cette fois: celui d’une part importante de ma propre identité.»

Raphaël Pomey se présente comme «un gentil plouc, rechristianisé sur le tard». Il est catholique issu d’un couple mixte et, en tant que Vaudois, a un regard bienveillant sur les deux confessions: il admire «la plasticité du catholicisme, son appétit insatiable pour la beauté, et la simplicité évangélique de la foi réformée». Il aime les bières non filtrées, la boxe et les groupes de viking métal. D’où sa propension à admirer la figure du dieu Thor, «capable de manger deux bœufs pour le repas de midi, avant d’arracher la tête d’un troisième pour l’utiliser comme appât dans le cadre d’une partie de pêche avec un géant». Adepte d’une religion énergique et ferme dans ses principes, il déplore que les Eglises, tant catholique que protestante, choisissent un discours cool et prétendument décalé pour exercer leur apostolat.

Raphaël Pomey milite pour un christianisme héroïque, qui prenne en compte la grandeur tragique de l’expérience humaine, et non une dévotion gnangnan, sans péché originel ni Golgotha. Il démontre que les Eglises font fausse route à se cantonner dans l’animation socio-culturelle et, en guise de catéchisme, d’être l’écho assoupi de la tiède morale laïque. Les fidèles ont besoin de la dimension verticale de leur religion, et qu’elle leur enseigne le sens du sacré, avec sa part de mystère et d’irrationnel, son héritage païen.

Raphaël Pomey n’est pas un réactionnaire grincheux, ni un imprécateur prophétique à la Léon Bloy. Il se trouve plutôt bien dans le monde où il vit. Ses modèles, C. S. Lewis et Chesterton ont le sens de l’humour et de l’absurde. Aussi notre bretteur ferraille avec panache, rue dans les brancards avec une verve réjouissante. Un sacré paroissien!

Notes:

   Référence: Raphaël Pomey, Danser l’effondrement - Les Eglises à l’ère du cool, Bergtatt Editions, 2020, 166 p. ISBN 978-2-9701269-5-9 (Disponible à la librairie du Valentin)

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