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Des remèdes au ressentiment?

Jacques Perrin
La Nation n° 2171 26 mars 2021

Comment remédier au ressentiment collectif décrit dans notre précédent article consacré au livre de la psychanalyste et philosophe Cynthia Fleury?

On peut dompter le ressentiment, mais pas le faire disparaître.

Cynthia Fleury conseille de freiner les dérives mondialistes des démocraties et leur déterritorialisation, de prévenir plutôt que guérir, car la guérison est presque impossible. On lutte d’abord en éduquant les personnes et en prenant soin d’elles, puis en les gouvernant le moins possible. Cynthia Fleury est à cet égard libérale, et quelque peu utopiste.

Modernisation et mondialisation engendrent des perdants qui ne s’accommodent pas de la rivalité imposée à tous. On veillera sur eux et à leur besoin d’identité qui ne doit pas être refoulé, mais sublimé. Cynthia Fleury pourrait s’approprier la définition du poète portugais Miguel Torga: L’universel, c’est le local moins les murs. La nouveauté doit être compatible avec l’héritage laissé par une nation. Il faut s’ancrer et s’enraciner pour avoir accès à l’universel ouvert. La séparation d’avec la mère n’est pas un abandon, nous avons une dette envers nos aînés.

Veillons aussi à la propreté du langage. Au royaume des réseaux sociaux, le langage se salit, privé de sa puissance symbolique et esclave des pulsions. Il ne rassemble plus les gens, mais enrobe des bouffées de haine.

En matière d’éducation et de soins, les humanités, la psychanalyse et la philosophie seront privilégiées sur la technique, le traçage, à la chinoise, des pulsions destructrices et des émotions négatives dès la naissance, le recueil informatique de données sur les personnes. Une société froide, mécanique, liberticide, privée de la chaleur communautaire est source de ressentiment.

Même si elle est partiellement fictive à cause des déterminations diverses qui nous gouvernent, la responsabilité personnelle sera mise en avant, cette responsabilité que les victimes en tous genres voudraient nier et dont, à leurs yeux, autrui devrait se charger.

Cynthia Fleury a, peut-être malgré elle, une tendance réactionnaire.

L’homme du ressentiment est porté au totalitarisme. Ses idées sont inattaquables, infaillibles. Paranoïaque, il a toujours raison; il se croit cerné d’ennemis, interprétant toute remarque comme signe d’hostilité. Notre modernité produit des victimes autoproclamées à n’en plus finir, qui aspirent à renverser les rapports de domination. Les victimes obtiennent réparation et les anciens bourreaux sont pourchassés à leur tour: simple inversion de position sans pardon, vengeance pure et simple. Féministes misandres, animalistes, racisés, minorités sexuelles, antifas, décoloniaux, écologistes radicaux, véganes, islamistes, complotistes ou suprémacistes, la plupart de ces nouveaux sectaires, y compris certains gilets jaunes, aspirent à une revanche sanglante.

Cynthia Fleury, démocrate sincère mais critique, n’aime pas les idéologies fermées, sans mystère, sans reste. Selon elle, pour être en mesure de voir la modernité démocratique de façon critique, il vaut la peine de goûter à la nostalgie antimoderne. La modernité veut tout, la nostalgie ne veut rien, écrit-elle. La volonté de puissance technique et algorithmique ne favorise pas la recherche de l’équilibre psychique. Le patriarcat qui régnait au nom du père était moins dangereux que l’égalité qui revendique des droits toujours plus étendus au nom des pairs. La démocratie se pervertit quand elle instaure des rapports histrioniques entre les hommes et une parodie de la tolérance.

Pour nous défendre du ressentiment, Cynthia Fleury n’a pas de recette institutionnelle. Elle n’imagine pas un autre régime que la démocratie, pas même un régime mixte. C’est la faiblesse de sa position de soignante libérale. Un bon gouvernement ne peut selon elle que veiller à ce que les inégalités économiques ne soient pas excessives. Tout est affaire d’éducation et de soins apportés aux personnes de façon à engendrer l’amitié politique chère à Aristote, notion revenant à la mode dans les milieux progressistes.

La psychanalyste philosophe invite les gens amers à aimer leur amertume, à la sublimer avant que le ressentiment ne les envahisse, à s’oublier eux-mêmes, à s’essayer à l’humour. Parfois, pour nous ouvrir à une solution inédite, il vaut mieux décider de ne rien faire.

Cette médication suffira-t-elle d’un point de vue politique?

Probablement pas, parce que l’éducation et le soin ne s’exercent pas à l’extérieur de la cité grâce à des éducateurs et des soignants dépolitisés. Ceux-ci sont pris d’entrée de jeu dans des rapports communautaires.

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