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Occident express 78

David Laufer
La Nation n° 2171 26 mars 2021

J'arrive à Srebrenica, cette petite ville de Bosnie orientale. Le paysage convoque le souvenir d'images floues sur un écran de télé, une foule confuse et effrayée dans un été écrasant. La route est sinueuse, les voitures sont rares, les fermes souvent abandonnées. Et voilà le cimetière. De l'autre côté de la route, une petite échoppe de trois mètres de côté, isolée sur son trottoir, étale une enseigne défraîchie: «Souvenirs». Derrière elle, il y a les hangars abandonnés du Dutchbat. Le bataillon hollandais de l'ONU, de sinistre mémoire, s'y était retranché, accueillant puis refoulant les réfugiés qui venaient y chercher protection contre les massacreurs de l'armée bosno-serbe. En entrant dans le cimetière, on tombe d'abord sur une mosquée sommaire, un toit d'une vingtaine de mètres de côté posé sur quatre pilotis. Un mur circulaire liste les noms des victimes et leur date de naissance. Au-delà, sur plusieurs milliers de mètres carrés, s'étalent les tombes de marbre blanc, chacune portant une sourate du Coran en bosniaque et en anglais. Et puis c'est tout. On cherche en vain une explication historique, une mise en perspective, ou alors un poème déchirant, une sagesse antique pour proposer un sens à ce qui n'en a malheureusement pas. Mais rien, sinon de la statistique: 11 juillet 1995 – 8'372 morts – Génocide. Tout l'endroit semble muré dans une sorte d'embarras passif et irrésolu. Il ne sait que contenir les morts et les pleurer, sans espoir d'un avenir meilleur, sans désir de paix, sans aucune autre émotion qu'une tristesse baignant dans une rage muette. On sort enfin et on parcourt les cinq kilomètres qui séparent le cimetière de la ville même de Srebrenica. Les quelques visages qu'on croise nous regardent passer avec lassitude. Ils savent que nous repartirons le plus vite possible, les abandonnant à leur futur inexistant et à leur passé excessif. En sortant de la ville, sur les collines alentour, les minarets et les clochers fraîchement édifiés continuent, à coup de briques et de plâtre, cette guerre terminée depuis un quart de siècle. L'un des plus remarquables lieux de mémoire que j'ai visités se trouve en Hollande. C'est la clairière de Westerbork, où se trouvait autrefois le camp de rassemblement par lequel 80% des juifs hollandais ont transité en route vers la mort. Il n'y a presque rien à voir à Westerbork, tout a été détruit. Les rails, devant le terminal inexistant, ont été relevés comme s'ils emmenaient les trains vers le ciel. Au-delà de la clairière, le gouvernement a installé de gigantesques antennes paraboliques d'un blanc immaculé. Elles parlent au visiteur de communication, d'efforts internationaux, d'avenir. Ainsi cette clairière qui a vu ce qu'on ne doit pas voir vous afflige et vous apaise à la fois. Le temps, sur ces sujets indicibles, reste par conséquent notre meilleur allié. Avec son aide, dans plusieurs années, celui qui se rendra au cimetière de Srebrenica y sera inspiré comme je l'ai été à Westerbork.

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