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Face au million: la décentralisation

Félicien MonnierEditorial
La Nation n° 2178 2 juillet 2021

Les votes du 13 juin dernier ont révélé qu’une opposition entre l’arc lémanique et l’arrière-pays s’est substituée à la fameuse fracture ville-campagne. L’arc lémanique en est venu, dans les dernières décennies, à concentrer plus qu’ailleurs une population aisée et ayant fait des études. De Montreux à Nyon, les bénéficiaires du financement des transports publics et des crèches remplissent les bureaux des administrations, les grands musées, les hautes écoles, les salles de spectacle, les sièges des banques et des multinationales. Ils ouvrent dans le quartier sous-gare des ateliers de graphisme, des bureaux d’architectes et des concept stores de décoration éco-responsable.

Pendant ce temps-là, à Payerne, des kebabs remplacent des bistrots. A Vallorbe ou à Sainte-Croix s’installent les pères divorcés profitant des bas loyers. A Orbe ou à Cossonay, des vitrines désespérément vides peinent à trouver preneur.

Ce clivage est mauvais tant il déséquilibre culturellement le Canton. Alors que l’on nous promet 1 million d’habitants pour 2044, le temps est venu de réfléchir aux manières de préserver au Pays de Vaud son unité.

Admettons à contrecœur que ce prévisible surpoids démographique est inévitable – ce qui reste d’ailleurs à prouver. Une question à poser est alors de savoir si la décentralisation de notre administration ne serait pas une manière d’en atténuer les inconvénients.

On retiendra que la police, qu’il s’agisse de la gendarmerie ou de la sûreté, a conservé un très profitable et homogène ancrage territorial. Je me souviens d’un café pris entre deux auditions sur une terrasse payernoise avec un inspecteur apte à me décrire avec une redoutable précision sociologique (et criminologique!) le type de clientèle de chaque estaminet.

Certains services de l’Etat auraient tout à gagner d’un tel ancrage. Les districts seraient des hôtes de choix. On pourrait même imaginer que les préfets se chargent de surveiller le fonctionnement de ces entités décentralisées. Ils assureraient, à leur niveau, la coordination interservices. Cette responsabilité pourrait, par la proximité, s’exercer de la manière la plus informelle possible. Les préfets relaieraient, à des échelons de décision peu élevés mais capables de décider rapidement, les préoccupations des citoyens et, surtout, des communes. Des bureaux centraux, restés à Lausanne, s’occuperaient des affaires particulièrement complexes ou chronophages.

Prenons un exemple. La Direction générale de l’environnement (DGE) est déjà un mastodonte et croîtra à l’avenir. Elle intervient sans cesse dans d’innombrables questions se posant aux administrés, notamment en matière d’autorisation de construire et de normes énergétiques. Il s’agit de domaines particulièrement concrets, se matérialisant le plus souvent par des infrastructures fixes. On ne rappellera jamais assez l’indissociabilité du territoire et de l’environnement. Aussi une antenne de la DGE pourrait-elle se retrouver dans chaque district; et avec les compétences que la loi lui accorde déjà en ses bureaux de la Rue Caroline.

Plus incarnées, ses décisions seraient plus acceptées. Pensons seulement à ces municipaux des constructions qui croiseraient par hasard dans une rue du chef-lieu de leur district le fonctionnaire chargé de délivrer, par hypothèse, une autorisation spéciale de construire en zone agricole. Cette proximité physique créera dans la durée d’efficaces rapports de confiance. Les décisions prises épouseront d’autant plus les préoccupations et spécificités du lieu.

Cette décentralisation ne devra pas intervenir par saupoudrage. Il ne s’agit pas de faire sortir de Lausanne un service entier pour le poser à Morges ou à Grandson. On le fit en 2000 avec le Registre du commerce, déménagé à Moudon. Cela reste encore une manière de perpétuer le clivage entre Lausanne et le Canton. La décentralisation devra être cohérente dans tout le Canton. Chaque district devra recevoir les mêmes institutions. La numérisation est d’ailleurs le meilleur argument en sa faveur. Durant la première vague et le télétravail obligatoire, notre administration cantonale ne fut-elle pas intégralement décentralisée?

Une autre erreur serait de découper le canton en arrondissements, sections, ou cercles ne se recoupant pas. Déjà très nombreux, les interlocuteurs doivent être territorialement identifiables avec facilité, en plus d’être connus personnellement.

On nous rétorquera que la centralisation assure des économies d’échelle malgré la croissance de la population. Or, rien n'est plus faux. La complexité d’un système augmente plus rapidement que celui-ci ne croît. Cette croissance a pour effet de bousculer les limites connues de l’exercice du pouvoir. Elle fait se déployer le gouvernement dans de nouvelles directions. Or, cela n’a jamais contribué à un allègement de la fonction publique. Il faut, au contraire, la redéployer. Du même coup, les bourgs de nos campagnes reprendront un sursaut de vie.

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