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La régression woke

Olivier Delacrétaz
La Nation n° 2196 11 mars 2022

Le mouvement woke s’inscrit dans le droit fil des combats pour l’égalité. Son apport original est de focaliser tous ces combats sur un seul et unique ennemi, le mâle blanc occidental. Celui-ci, pour assurer sa domination sur le monde, a inventé le patriarcat, les hiérarchies sociales, la censure morale, la normalité hétérosexuelle, l’exploitation de la classe ouvrière, le racisme, le colonialisme et la militarisation des rapports interétatiques. Il a si bien intégré ces discriminations dans son quotidien qu’il n’en est même plus conscient. Cette inconscience ne rend toutefois pas ses mains moins sales. Est-il seulement récupérable?

Il faut déconstruire le système occidental, ses structures et son histoire, les distinctions entre l’homme et la femme, entre le mariage et le concubinat, entre les différentes orientations sexuelles, entre le bourgeois capitaliste et le prolétaire, entre le national et l’étranger. Il faut épurer la langue, la débarrasser des stéréotypes inégalitaires qui l’encombrent, y compris dans les chefs-d’œuvre de la littérature, qui renforcent ces stéréotypes en leur fournissant une justification esthétique. Il faut rejeter la pensée blanche et sa logique du tiers exclu au profit de pensées plus inclusives. Il faut libérer l’individu des «constructions sociales» qui restreignent ses libertés et refuser le diktat de la biologie qui lui «assigne» souverainement son genre.

Pour le woke, le racisme et le sexisme sont «systémiques». Autrement dit, l’individu lambda blanc, même si ses paroles et ses actes ne manifestent ni racisme ni sexisme, est structurellement en puissance de racisme et de sexisme. Cette tare «systémique» est un décalque du péché originel, doctrine selon laquelle l’homme présente, dès avant sa naissance, une disposition innée à faire le mal. La différence est que le péché originel s’étend à l’ensemble de l’humanité, tandis que le péché systémique est réservé aux seuls hommes blancs.

La théorie systémique, à l’instar du marxisme, définit la totalité des relations humaines en termes de domination et de lutte. Il n’y a pas de détails dans cette lutte: l’imitation d’un accent ou d’un handicap, un grimage en rouge, jaune ou noir, le refus de démolir une statue militaire, une plaisanterie incorrecte, une invite insistante, un simple regard doivent être dénoncés comme agressions ou, au moins, comme «micro-agressions». Impossible de réfuter l’accusation, puisqu’elle ne repose pas sur une démonstration, mais sur le ressenti personnel de la victime, seule juge de la gravité de l’offense!

Dans la foulée, les réseaux sociaux s’indignent. Cette indignation complaisante est en général grotesquement surjouée. «Voyons-y, dira le woke de base, une manifestation de la sensibilité et de la perspicacité de l’indigné, d’autant plus subtiles que l’objet en est plus insignifiant!»

Les diverses mouvances woke n’ont d’unité que dans leur commune volonté de déconstruire ce qui existe. Pour le reste, elles s’affrontent dans une infinité de divergences et de contradictions. Car, qui est le plus victime? qui a le plus droit aux excuses des bourreaux et aux dédommagements?

Et qui doit-on dénoncer auprès de qui? Un inverti islamophobe est-il plus pilorisable qu’un musulman homophobe? ou un macho juif qu’une féministe antisémite? Que penser du «trans» qui a conservé sa force masculine après sa transition et en profite pour écraser les femmes dans les compétitions sportives? Ou du gros barbu qui se ressent femme et veut fêter la «Journée mondiale des toilettes» du 19 novembre en s’installant dans les cabinets des dames? Le mâle qui veut devenir femme par le biais d’opérations chirurgicales douloureuses et risquées, ne conforte-t-il pas la croyance qu’il existe une différence objective entre les hommes et les femmes? A moins qu’il ne s’impose ces souffrances que par crainte d’assumer son homosexualité. Quoi qu’on réponde, et si woke qu’on soit, on est forcément le traître ou le salaud de quelque autre woke.

«Le pur trouve toujours un plus pur qui l’épure.» Simone de Beauvoir, auteur du Deuxième sexe, féministe engagée, n’est plus aujourd’hui qu’une binaire primaire honnie par les queer. Les féministes différencialistes (celles qui promeuvent les qualités spécifiques des femmes) et les féministes universalistes (qui nient toute spécificité relative au sexe) se détestent les unes les autres. Martin Luther King, qui rêvait d’une Amérique où les Noirs et les Blancs réconciliés vivraient sur pied d’égalité, niait l’existence du racisme systémique blanc, ce qui, aux yeux des wokes, en fait un collabo. Julius Malema, le leader d’extrême-gauche sud-africain, considère Nelson Mandela comme un traître qui a préféré la réconciliation à la justice.

Toute communauté woke tend asymptotiquement à se pulvériser en sous-communautés constituées chacune d’un seul individu, persécuté et accusateur, ce que symbolise l’évolution de la liste «LGBT», aujourd’hui «LGBTQQIP2SAA», en attendant plus.

L’idée sous-jacente du wokisme est que la civilisation occidentale doit être éradiquée pour que l’homme renoue avec son humanité originelle. C’est dans cette perspective morale que le woke dénonce, accuse, proscrit, persécute, censure et déboulonne. En réalité, l’ensemble et le détail de ses actions débouchent sur un ratage absolu. Le wokisme remplace les structures différenciées et complexes de la société par des structures claniques tout aussi fermées et hiérarchisées, primitives, violentes, irrationnelles et soumises au droit du plus fort, du plus rusé, du plus cynique.

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