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L’acquis Schengen

Félicien MonnierEditorial
La Nation n° 2198 8 avril 2022

«L’espace Schengen»1 est un territoire au sein duquel les contrôles individuels aux frontières sont supprimés, en contrepartie d’un renforcement du contrôle des frontières extérieures de l’espace. En parallèle, il crée de nombreuses bases de données auxquelles les autorités policières et migratoires ont accès et qu’elles utilisent au quotidien2. On parle de «l’espace européen de liberté, de sécurité et de justice».

Depuis le Traité d’Amsterdam de 1999, l’accord de Schengen de 1985 fait partie intégrante du droit de l’Union européenne. Son évolution dépend du Parlement européen et du Conseil des ministres.

La Suisse participe à cet espace depuis 2008. Non membre de l’Union, elle doit formellement accepter chaque étape d’évolution des règles régissant l’Espace Schengen. Ce processus s’appelle la «reprise de l’acquis Schengen». Un référendum est à chaque fois ouvert. Si la Suisse refuse une telle «reprise», un «comité mixte» composé de représentants des parties est saisi. En cas d’échec de la conciliation, l’accord liant la Suisse à l’UE tombe et la Confédération sort de l’Espace Schengen. C’est en tout cas ce que prévoit l’accord. Elle devrait du même coup renoncer aux avantages qu’elle en retire. A chaque réforme, les partisans de cette dernière pratiquent un chantage à la résiliation de l’accord. On finit par ne plus discuter du fond.

En 2019, le peuple a accepté, à ce titre, la reprise de la directive européenne sur les armes. La Ligue vaudoise s’y était opposée.

Le 15 mai, nous voterons une nouvelle fois sur une reprise de l’acquis Schengen. Plus importante qu’en 2019, elle porte sur l’intégration au droit suisse du Règlement (UE) 2019/1896 du Parlement européen et du Conseil du 13 novembre 2019 relatif au corps européen de garde-frontières et de garde-côtes.

Depuis 2004 existe une Agence européenne pour la gestion de la coopération opérationnelle aux frontières extérieures des Etats membres de l’Union européenne. On l’appelle couramment FRONTEX.

Le titre de ce règlement est éloquent. Il ne s’agit rien moins que d’instituer un corps européen de garde-frontières et de garde-côtes. Aujourd’hui, FRONTEX n’existe pas indépendamment des Etats-membres qui lui fournissent ses équipements et son personnel. A en croire les autorités européennes, cela serait insuffisant. FRONTEX devrait donc voir son mandat renforcé. A cet effet, la Commission européenne et le Parlement veulent la doter d’un contingent permanent de 10’000 membres. Il aura ses propres moyens terrestres, aériens et maritimes.

Cette nouvelle mouture de FRONTEX sera entre autres chargée d’effectuer le «contrôle-qualité» des frontières des Etats-membres. Elle pourra préconiser des corrections, ainsi que les mesures à prendre en cas de non-respect des mesures préconisées. A côté de la surveillance de frontières, ses agents pourraient assurer la mise en place et l’exploitation d’infrastructures d’accueil des migrants (enregistrement, identification, etc.). L’Agence disposera encore d’une force de réaction rapide, sorte d’élément de réserve d’urgence de l’Union européenne. Frontex pourra prendre l’initiative de ses interventions, bien qu’elles demeurent subordonnées à l’accord de l’Etat-membre concerné.

Les pays-membres contribuent en personnel et en argent. En cas d’acceptation, la Suisse devrait mettre une quarantaine de gardes-frontières à disposition de FRONTEX. Pour comparaison, ce sont en 2019 l’équivalent de cinq agents à 100% qui ont été engagés. Financièrement, la contribution suisse passerait de 24 millions de francs par an actuellement à 61 millions en 2027.

Une vaste nébuleuse, essentiellement d’extrême-gauche3, a fait aboutir le référendum contre la reprise de cette évolution. A l’en croire, FRONTEX est la main armée de la xénophobie européenne. Elle l’accuse de laisser couler des navires en Méditerranée ou d’interner sévèrement les migrants, en vue de leur renvoi le plus rapide possible.

Les montants et effectifs en jeu ne sont certes pas négligeables. Ils ne sont pas colossaux non plus. Ils rendent sur le plan pratique la réforme à peu près indolore. On relèvera cependant que FRONTEX change de nature pour devenir une agence autonome. Il faut dans tous les cas examiner la chose d’un point de vue politique. Cela implique une appréciation temporelle, donnant sa place à la dynamique générale de l’accord. En 2005, nous appelions à rejeter l’adhésion à Schengen au nom de l’engrenage qu’il enclenchait4. La Nation avait malheureusement vu juste. Nos autorités nous imposent aujourd’hui le dilemme exactement dans les termes envisagés à l’époque: accepter chaque évolution ou sortir!

L’existence même de ce dilemme découle de la nature bureaucratique des institutions européennes. Notre perspective voit d’abord des nations défendre et surveiller leurs frontières au nom des communautés qu’elles abritent. En Schengenland, une «agence» gère un «espace», veillant à ce que les individus qui y pénètrent remplissent des critères formels. Il faut parfois bien passer par là, mais on ne peut se contenter de cette abstraction administrative. Elle tend trop, à la longue, à se substituer au fond. La constitution de ce corps européen permanent de garde-frontières n’est qu’une étape vers encore plus de centralisation de l’appareil sécuritaire européen.

L’argument de la rationalité budgétaire joue obligatoirement contre les souverainetés nationales. En techno-langage européen, on appelle ça: «faire converger les plans de développement capacitaire des Etats membres et la planification pluriannuelle des ressources de l’Agence pour optimiser l’investissement à long terme».5 On commence aujourd’hui par la mutualisation des ressources et des moyens, la recherche d’interopérabilité et d’économies d’échelles. Concrètement, on finira dans quelques années avec une grille salariale unique, un réseau européen de communications radios, une école européenne de gardes-frontières, la suppression de nos corps nationaux… et le Conseil fédéral qui nous dira de les accepter.

D’après lui, nous aurions trop à perdre à sortir de l’Espace Schengen, trop à perdre de ne plus accéder à ses bases de données, trop à perdre à compliquer la vie des touristes asiatiques. C’est à la fois vrai et faux. Il y a quatorze ans, nous n’étions pas dans cet espace, mais nous en étions déjà le carrefour entre le Sud et le Nord. L’intérêt de nos voisins à traiter avec nous demeurera après le 15 mai. Il n’y a aucune présomption à rappeler les atouts stratégiques que nous offre notre géographie.

Pas plus qu’en 2005, nous ne parvenons à nous résoudre à cette lente noyade dans la technocratie sécuritaire européenne. Le 15 mai 2022, nous refuserons de reprendre «l’acquis Schengen» et voterons NON au corps européen permanent de garde-frontières.

Notes:

1    Il recouvre le territoire des Etats-membres de l’Union européenne, à l’exception de l’Irlande, la Roumanie, la Croatie, la Bulgarie et Chypre. S’y ajoutent quatre Etats associés: la Suisse, la Norvège, le Liechtenstein et l’Islande.

2    On dénombrera ainsi le SIS (Système d’information Schengen) qui recense les personnes recherchées ou interdites d’entrée, le VIS, système d’information sur les visas et titres de séjour, Eurodac pour les empreintes digitales, API pour le recensement préalable des passagers aériens, l’EES pour la détection automatique des entrées et sorties dans l’espace Schengen, et ETIAS pour l’enregistrement en ligne des voyageurs d’Etats-tiers dispensés de visas.

3    On y retrouve parmi d’autres les Juristes démocrates de Suisse, la Jeunesse socialiste suisse, les Verts suisses, certains collectifs cantonaux de la Grève des femmes, le GSsA, SolidaritéS, ou de nombreuses organisations d’aide aux migrants

4    Voir encadré ci-dessous.

5    Préambule au Règlement (UE) 2019/1896 du Parlement européen et du Conseil du 13 novembre 2019 relatif au corps européen de garde-frontières et de garde-côtes, ch. 74.

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