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Le don d’organes

Olivier Delacrétaz
La Nation n° 2198 8 avril 2022

En Suisse, on ne prélève des organes que sur des personnes qui l’ont explicitement décidé et portent une carte de donneur. L’initiative «Pour sauver des vies en favorisant le don d’organes» inverse le mécanisme. Elle propose l’ajout d’un quatrième alinéa à l’article 119a de la Constitution fédérale: Le don d’organes, de tissus et de cellules d’une personne décédée à des fins de transplantation repose sur le principe du consentement présumé, sauf si, de son vivant, la personne concernée a exprimé son opposition à ce don.

Le Conseil fédéral a conçu un contre-projet indirect qui, contrairement à l’initiative, associe les proches à la décision. Ceux-ci seraient certes liés par la volonté présumée du défunt, mais, en cas d’incertitude, auraient le droit de s’opposer au prélèvement. En cas d’impossibilité de joindre un proche, il n’y aurait pas de prélèvement.

Les initiants se sont ralliés et ont retiré leur initiative. Ils l’ont fait «sous condition», c’est-à-dire pour autant que le peuple ne refuse pas la loi. Dans le cas contraire, l’initiative serait soumise au peuple et aux cantons. Car un référendum a été lancé contre la loi par un comité suisse alémanique, il a abouti et nous voterons le 15 mai sur la modification de la «loi fédérale sur la transplantation d’organes, de tissus et de cellules» votée par les Chambres.

Le moteur principal de la loi – et de l’initiative –, c’est l’écart que l’on constate entre le nombre élevé de citoyens favorables aux dons d’organes et celui des donneurs inscrits, incomparablement plus faible. On peut l’expliquer pour une part par la négligence et pour une autre par cette crainte superstitieuse qui nous fait repousser la rédaction de notre testament ou de nos «directives anticipées» dans l’espoir inavoué de retarder le moment fatal.

Le premier argument des opposants est qu’on prélèverait les organes chez beaucoup de citoyens sans qu’ils l’aient voulu ou sans qu’ils aient su qu’ils pouvaient s’y opposer. Le rôle des proches tel que prévu par le Conseil fédéral répond en partie à cet argument.

Le second argument est précisément que les proches seraient soumis à une alternative pénible qui ajouterait à leur chagrin: soit vous décidez de nous confier le corps encore chaud du disparu, soit vous êtes des sans-cœurs indifférents aux vivants.

La Conférence des évêques suisses, qui n’est pas opposée au don d’organes, rejette le principe du consentement présumé, même dans sa version parlementaire. Ses arguments ne sont pas théologiques, mais plutôt éthiques et juridiques. Ce sont, en gros, ceux des initiants. Elle insiste aussi sur l’inefficacité constatée du consentement présumé, se référant au rapport du Conseil fédéral de 2019 sur l’initiative: «A ce jour, il n’a pas été possible de démontrer que le consentement présumé augmente le taux d’organes donnés après le décès. […] Les exemples de certains pays voisins ont montré que l’introduction du consentement présumé avait fait diminuer le don.»

A notre sens, il n’y a pas de motif religieux ou philosophique de s’opposer au prélèvement d’organes sur le corps d’une personne décédée. En toute rigueur, d’ailleurs, on ne devrait parler de «corps» qu’à propos d’une personne vivante. Déserté par l’âme au moment de la mort, ce qui était un corps n’est plus qu’un amas de matière qui se défait dès les premiers instants, ne conservant son aspect humain que par la force de l’inertie. Pour autant, on ne peut en disposer librement, ne serait-ce que par respect pour le vivant qu’il fut, mais aussi à cause de ceux qui restent et sont en deuil.

La manière dont une société traite ses morts dit beaucoup sur la manière dont elle traite ses vivants. Or, le consentement présumé, même sous la forme prudente que lui donne le parlement fédéral, augmente la mainmise des pouvoirs publics sur le citoyen. L’augmentation est ici légère, mais la direction est claire. On pourrait dire, en forçant le trait, que c’est comme si le citoyen avait reçu son corps en prêt et que l’Etat veuille le récupérer après usage. L’argumentaire du Conseil fédéral confirme d’ailleurs cette conception utilitaire en parlant d’«exploiter un potentiel…». Connaissant le progressisme inné des institutions démocratiques, on se demande quelle sera la prochaine étape.

L’Eglise catholique prône une simple déclaration obligatoire, dans le double but d’augmenter le nombre des donneurs tout en évitant des décisions pénibles aux proches du défunt. Tout citoyen serait explicitement amené à faire connaître ses intentions, lors du renouvellement de ses assurances, par exemple. Un refus de la loi, puis de l’initiative permettrait de mettre rapidement sur pied une solution de ce genre, pratique, généralisée et respectant la liberté individuelle. Nous voterons non.

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