D’une boucle

C’est d’abord, me dit mon gros Petit Robert, une sorte de rectangle, d’une matière dure, et pourvu d’un ardillon. Mon ceinturon militaire, inusable et bientôt centenaire, est en effet pourvu de ce curieux et irremplaçable appareil; c’est bien la boucle de mon ceinturon. Et j’ai quelque peine à admettre que c’est là le sens premier de la boucle: un rectangle. Qu’y-a-t-il de commun entre cet objet métallique et les cheveux de ma femme? Ceux-ci sont bel et bien bouclés, et c’est même un plaisir de contempler cette fantaisie d’une blancheur lumineuse, mais mon ceinturon, lui, n’est pas bouclé, à moins que l’on prétende qu’il lui faut justement une boucle pour être bouclé.

Il n’est pas dans les usages de La Nation d’illustrer un texte par des photos ou des dessins; la plume doit suffire. Je vous prie donc d’imaginer la première image qui vous vient à l’esprit quand tombe le mot «boucle». Je vois, moi, d’abord, une sorte de léger cercle élégant, non terminé, dont la ligne dessine une circonvolution inachevée; c’est ainsi qu’elles m’apparaissent, tant sur cette nappe qu’autour de ma tasse à café Meissen. Mais ce n’est pas tout, car une boucle, ce sera plutôt une bouclette, peut prendre racine des deux côtés de la boucle mère pour s’arrondir et former ce que d’aucuns appelleraient un épicycle.

Il n’en demeure pas moins que le propre de la boucle, au sens non militaire de ce terme, c’est l’inachevé, c’est la suggestion de l’éternel retour nietzschéen, d’une ligne qui s’envole pour revenir à son point de départ, et qui n’y parvient jamais, pas plus qu’une boucle en ligne droite!

C’est l’inachevé qui fait l’élégance de la boucle.

Mais nous n’en avons pas fini pour autant. Notre esprit tend en effet à terminer toute chose qui a commencé, et cet achèvement est un principe d’unité. Ainsi dire qu’on va «boucler la boucle» est une manière métaphorique de détruire le principe même de la boucle pour n’en faire finalement qu’un simple et vulgaire cercle. Et c’est dans le même sens que mon lecteur me dira, excédé:

– Eh bien! Boucle-la.