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Quatre attitudes

Félicien MonnierEditorial
La Nation n° 2201 20 mai 2022

Les raisons sont nombreuses de penser que le monde se délite, que nos communautés se dissolvent. L’étatisme est galopant, l’Etat devenant le réceptacle de toutes les espérances. Les offensives contre «la binarité du genre» diluent la famille, accusée du même coup de reproduire les inégalités de sexe et de classe. Au détriment de la liberté d’expression, le wokisme consacre l’irruption du sentiment personnel d’injustice comme argument politique.

Les perspectives démographiques ne sont guère plus réjouissantes. Le million de Vaudois en 2044 sera d’abord le fait de l’immigration. Il s’exprimera par un mitage accru du territoire et une distension des relations personnelles.

L’éruption de ces dérives appelle évidemment une réaction. Elle pourra s’incarner en quatre attitudes différentes. Tentons schématiquement de les décrire.

Une première attitude est celle de l’abandon de la politique, malgré l’adhésion juvénile à certains principes. Sa cause couve dans la lassitude provoquée par l’esprit du temps. La perspective d’un combat épuisant incite à substituer au frisson de la lutte les loisirs qu’offre l’aisance financière. Un entre-soi sociologique fait s’éloigner les réalités du pays.

Le danger est de finir par renoncer. Voire de se rallier, sinon à son adversaire de jadis, du moins à ses formules creuses: «Oui bien sûr… je suis fédéraliste… mais de nos jours, peut-on encore…?». Mais tous n’y cèdent pas totalement. Certains notables animent un riche terreau associatif ou professionnel.

On peut aussi fuir. Les déclencheurs peuvent varier et certains s’imposent à nous. Il y a bien sûr la «casse» personnelle; ce terrifiant «burn out» duquel personne ne semble à l’abri. Mais la fuite peut être plus délibérée. Encore exprimera-t-elle souvent un trop plein, pas nécessairement psychologique. Certains rêveront d’un ailleurs supposé plus conforme à leurs inclinations: les pays de l’Est et leur traditionalisme, les plaines américaines et leur droit de porter une arme. Ces exils restent souvent des rêves.

Une volonté de rupture plus radicale peut aussi naître. Elle se caractérise souvent par des velléités de retour à la terre, couronnant une tentative de «ralentir le rythme». Elles découlent de réflexions sur l’écologie, la technicisation du réel, son abstraction progressive. Certains des jeunes participants de nos Entretiens du mercredi envisagent ou entreprennent déjà de tels parcours. Leur réaction s’élève autant contre le libéralisme contemporain que contre ses manifestations technologiques, suspectées d’attenter à notre libre arbitre et de réduire l’homme à un produit commercial.

Cette démarche peut être prolifique. La Ligue vaudoise profite encore aujourd’hui du «retour à la vigne» d’Alphonse Morel en 1945. Mais elle doit conserver un rattachement politique. Des liens autant personnels qu’institutionnels doivent demeurer, avec le Pays de Vaud et ses habitants, avec la Confédération et son armée. Sans cela, la fuite, parfois un temps nécessaire pour elle-même, se soldera par un oubli réciproque.

La lecture du Pari bénédictin de l’Américain Rod Dreher inspire la troisième attitude. Elle commence par admettre comme un donné la déchristianisation des sociétés occidentales. Ensuite, elle incite ses adeptes à refonder des communautés centrées sur la pratique religieuse, la transmission d’une éducation chrétienne. Cette attitude autorise à se séparer de la nation, concevant l’Etat postmoderne comme un adversaire anti-chrétien. Une démarche sécessionniste et auto-organisatrice est assumée, non sans rappeler certaines formes d’anarchisme.

Cette vision est séduisante, en particulier par sa critique de l’étatisme et son courage d’affirmer sa foi. Mais elle prend trop dangereusement la voie d’une confusion du politique et du religieux, sans compter l’idéalisme qui la caractérise. Dreher vante d’ailleurs clairement, en la sortant à tort de son contexte médiéval, la dimension politique de la Règle de saint Benoît, vue comme une nouvelle constitution1.

La Ligue vaudoise, avec son organisation non démocratique, son fédéralisme intransigeant, son refus de l’égalité comme principe cardinal de la politique, nage très largement à contre-courant. Le coup de force de nos fondateurs est d’avoir développé une quatrième attitude.

De l’abandon, elle conserve l’intégration sociale. L’engagement politique est possible en dehors de l’Etat: corporations et associations, petites communes et entreprises sont autant de lieux où le bien commun se construit dans la durée et sans les effets d’annonce du régime électoral. La démocratie directe nous permet de descendre dans l’arène. Aux Entretiens du mercredi nous rencontrons ceux qui font le Canton légal.

De la fuite, la Ligue vaudoise a retenu la nécessité de ralentir le halètement: l’intérêt porté aux arts, à la musique en particulier, l’office du soir au camp de Valeyres.

Enfin, nos fondateurs avaient forgé leur théorie de l’institution avant le Pari bénédictin. Des règles et des habitudes coutumières peuvent être bâties autour de communautés préexistantes qui deviennent à leur tour des institutions. Centrées sur les liens personnels, parfois avec des personnes éloignées de notre combat, elles renforcent et renouvellent les communautés qui font le pays, sans jamais vouloir s’en extraire. Car à la fin, au cœur de notre attention, dans ces colonnes, aux Cahiers de la Renaissance vaudoise, durant les référendums, c’est du Pays de Vaud qu’il doit être question. Celui qui existe encore. Puisse-t-il croître et rayonner à travers nous et notre action.

Notes:

1  «Parler d’ouvrage politique pour décrire la Règle de saint Benoît peut paraître étrange, mais à bien y regarder, il ne s’agit de rien moins que d’une constitution qui régit les relations entre les membres d’une communauté. Parce qu’elle décrit la manière dont les moines sont censés incarner les vertus bénédictines, la Règle est politique.» Dreher Rod, Comment être chrétien dans un monde qui ne l’est plus, Le pari bénédictin, traduit par Hubert Darbon, Paris 2017 (première édition, New-York 2017), p. 136.

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