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Occident express 100

David Laufer
La Nation n° 2201 20 mai 2022

Qu’est-ce que la démocratie? Cette question reçoit des réponses qui dépendent partiellement de l’endroit où elle est posée. Dans les pays développés, la réponse ne finit pas de s’épaissir, de s’étoffer de conceptions nouvelles et de sous-entendus contraignants. On lui ajoute des ailes, on modifie régulièrement sa façade et on rase ses communs à mesure que le temps passe et que la société change. Il en résulte une définition à la fois dense et restrictive. La démocratie, en France ou en Suisse, est un compromis entre centre-gauche et centre-droit, libre-échangiste économiquement, internationaliste, de plus en plus à cheval sur les minorités et de moins en moins sur la morale, passionnément attaché au rituel électoral et à un style de communication politique le plus dilué et consensuel possible. Cette conception nous est rappelée actuellement tous les jours dans la presse, dans un contexte éminemment tragique et inquiétant. Il nous est rappelé tous les jours que Poutine est un xxx (remplir avec le qualificatif dérogatoire qui convient). Que son agression contre l’Ukraine est l’acte dément d’un dictateur sanguinaire qui gouverne son peuple contre son gré. Si cette agression est effectivement catastrophique et criminelle du point de vue du droit international, il n’en reste pas moins que Poutine, tout comme Hitler dont je suis vraiment désolé de citer le nom, a été élu et soutenu par son peuple depuis des années; que son arrivée et surtout son maintien au pouvoir doit autant à son absence de scrupules qu’à la conception que les Russes se font de la démocratie. Il est à espérer que ses agissements récents lui aliènent une partie croissante de sa population, et encore plus à espérer que la Russie puisse vivre une transition de pouvoir sans effusion de sang. Toutefois il est tout aussi impératif de comprendre que Poutine n’est pas installé au Kremlin par la subversion, la violence et le mensonge mais parce que son style de pouvoir convient à l’idée que se font la majorité des Russes de la démocratie. Autrement dit, même si cela peut paraître dur à envisager, Poutine est l’expression démocratique du peuple russe. Si l’on admet cela, on peut à la fois mieux comprendre ses motivations et, partant, imaginer des solutions de sortie de crise. Lorsque je suis arrivé en Serbie en 2001 j’étais pénétré des conceptions que j’ai évoquées plus haut. J’étais par conséquent convaincu que Milochevitch était un dictateur sanglant qui ne devait son pouvoir qu’à la subversion. En quelques années, j’ai fini par comprendre que les Serbes, en majorité, l’avaient voulu. Que son action convenait à leurs propres conceptions politiques et sociales. Celles-ci, fort éloignées des miennes, envisagent le corps social comme une famille élargie et les relations internationales comme un combat à mort constant dans lequel tout le monde est suspect de trahison. On y valorise moins le rituel électoral que les actions de l’élu, on se fiche pas mal des minorités et on attend d’un Etat fort qu’il subvienne à nos moindres désirs. Cela ne rentre pas dans les clous de ma vision des choses. Mais cela leur convient. Et tant que je les prive de cette liberté fondamentale, je rends tout dialogue authentique impossible. Comme on est en train de le constater.

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