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Le plan vicenno-septennal

Félicien MonnierEditorial
La Nation n° 2224 7 avril 2023

L’initiative «Pour les glaciers» voulait faire cesser la mise en circulation de carburants fossiles en Suisse d’ici à 2050. Les émissions de CO2 résiduelles devaient être compensées par des «puits de gaz à effets de serre». Une loi d’application devait préciser «la trajectoire de réduction des émissions de gaz à effet de serre jusqu’en 2050».

La Commission de l’environnement du Conseil national jugea l’initiative trop lente et inefficace1. Elle proposa en avril 2022 l’élaboration d’un contre-projet sous la forme d’une nouvelle loi fédérale-cadre. Après quelques mois de débat naquit la loi fédérale sur les objectifs en matière de protection du climat, sur l’innovation et sur le renforcement de la sécurité énergétique (LCl). Son but est de ramener à zéro les émissions de gaz à effet de serre en Suisse en 2050. Les moyens développés sont similaires à ceux de l’initiative: réduire puis compenser. Le tout dans le cadre d’une planification serrée et à moyen terme sous l’égide de la Confédération.

Nous voterons le 18 juin 2023 sur ce grand plan vicenno-septennal de décarbonation de la Suisse pour 2050. En même temps d’ailleurs que sur l’initiative cantonale «Pour la protection du climat», sur laquelle La Nation reviendra.

Le plan est transversal

Il s’agit d’une loi-cadre. Elle irradie l’ensemble des activités de l’Etat, dont elle fournit une liste d’exemples: «… notamment dans les domaines du CO2 , de l’environnement, de l’énergie, de l’aménagement du territoire, des finances, de l’agriculture, de l’économie forestière et de l’industrie du bois, des transports routiers et aériens et de l’imposition des huiles minérales» (art. 12).

D’ordinaire, l’ordre juridique est pris dans la pyramide de la hiérarchie des normes. La Constitution prime la loi fédérale. La loi fédérale prime l’ordonnance. Entre des normes de mêmes rangs, la norme la plus récente prime la plus ancienne, la plus précise prime la plus générale.

La loi-cadre vient perturber cette manière de structurer le droit en se posant comme un point de repère. La loi-cadre veut donner le ton. Elle impose au législateur de respecter à long terme les objectifs qu’elle fixe. Elle oblige le juge à se référer au programme qu’elle pose, même lorsqu’il ne l’applique pas directement. Une loi-cadre, ce n’est pas encore la Constitution, mais ce n’est déjà plus une simple loi fédérale. Alors que la pyramide des normes est d’ordinaire faite de couches plates, la loi-cadre ressemble à une boule tentaculaire.

Le plan se veut implacable

Du projet de LCl se dégage l’impression que rien ne peut arrêter la décarbonation de la Suisse pour 2050. Le législateur fixe des dates, des objectifs à atteindre pour ces dates, des pourcentages d’atteinte à des dates intermédiaires. Il les répartit par secteurs de l’économie. Dans le bâtiment par exemple, les objectifs de réduction doivent être atteints à 82% pour 2040, et 100% pour 2050 (art. 4). Pourquoi pas 81 ou 83%? Et pourquoi pas le 12 février 2037 à 19h31?

Alors que les désastres écologiques actuels découlent de l’obsession techno-libérale de dompter la nature, le législateur se berce de l’illusion de la maîtrise et du chiffrage. La LCl concentre un mélange de jargon scientifique et de dates symboliques, notamment repris de l’accord de Paris sur le climat. C’est désormais en blouse blanche que le politique donne ses coups de menton.

Mais le plan devient autoritaire lorsqu’il ordonne que «toutes les entreprises doivent avoir ramené leurs émissions à zéro net d’ici à 2050 au plus tard». Ce type d’injonction, couplé à la notion de loi-cadre, est annonciateur de mille directives et d’innombrables contrôles. Elles ronronnent déjà dans les tiroirs des Offices fédéraux.

Les entrepreneurs les plus imaginatifs sauront faire des obsessions climatiques un argument commercial. Mais leur tolérance pour les lenteurs administratives et les fonctionnaires sourcilleux ne reposera que sur leur responsabilité de nourrir leurs employés malgré toutes les brimades.

Le plan est irresponsable

Les valeurs à atteindre sont explicitement «indicatives», donc non contraignantes. Gonflant les compétences de l’administration, ce flou contribuera à entretenir la grossissante filière des technocrates de l’environnement. La référence aux «connaissances scientifiques les plus récentes» (art. 11) autorisera le recalcul des seuils et le réexamen des mesures déployées. En cas d’erreur d’appréciation, de rétropédalages ou d’accélérations du rythme, ce sont bien les entreprises et les contribuables qui supporteront les normes plus invasives et les fonds-climats supplémentaires. On ne tiendra personne pour responsable, parce qu’on ne saura pas qui a décidé quoi.

Le plan est centralisateur

Au nom de l’exemplarité de l’Etat et de son rôle de modèle, la loi fédérale impose que «Les cantons visent au minimum l’objectif zéro émission net à partir de 2040 pour leurs administrations centrales» (art. 10 al. 4).

On n’avait plus vu depuis longtemps une injonction aussi directe et paternaliste à l’attention des cantons. Les voici vus comme des obstacles potentiels aux objectifs de décarbonation. Nous soutenons pourtant qu’une politique écologique rejetant les cadres traditionnels d’exercice du pouvoir est vouée à l’échec. La Confédération oublie que sans les cantons elle n’existe pas. Cela nous suffit pour refuser le projet.

Nous voterons NON.

Notes:

1   Rapport de la Commission de l’environnement, de l’aménagement du territoire et de l’énergie du Conseil national, du 25 avril 2022 (FF 2022 1536).

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