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Intelligence artificielle

Jean-Blaise Rochat
La Nation n° 2224 7 avril 2023

Dans L’Eruption du Karamako, un album des aventures de Jo, Zette et Jocko, signé Hergé, un savant fou tente de transférer l’âme de Jo dans le corps d’un robot de son invention. Le cinglé exulte: «J’aurai créé un être vivant! … J’aurai insufflé la vie à une machine docile! … Un cœur de caoutchouc va battre dans une poitrine d’acier! Ah! toute puissance de la société moderne!» Ce robot humanoïde de 1952 paraît aujourd’hui un peu naïf à côté des promesses de l’intelligence artificielle; mais le but est le même: accroître la maîtrise de l’homme sur le monde. Les développements actuels de l’intelligence artificielle suscitent une fièvre inquiète, parce qu’on a obscurément le sentiment qu’on dépasse une ligne rouge par l’extension démesurée de notre pouvoir. On connaît le sort de Prométhée, de Sisyphe, d’Icare, et d’autres qui se sont aventurés sur les terres sacrées des dieux jaloux.

Il y a quelque temps, on me fit essayer un robot informatique baptisé du doux nom de ChatGPT. Il est capable de produire à la demande des textes sur n’importe quel sujet. Je proposai à la machine d’exercer ses talents sur «la désintégration de la mémoire dans La Recherche du temps perdu». En moins de cent vingt secondes, apparut une dissertation correctement rédigée, au contenu honorable, digne d’un élève moyen à l’approche du baccalauréat. Je récidivai avec le même sujet et, ô surprise!, le robot livra une autre rédaction, à peine moins satisfaisante. Bonne chance aux enseignants! L’ébahissement cessa avec des auteurs moins célèbres: Bonald, Georges Neveux. Le logiciel pataugea dans les banalités, les contresens, les répétitions, cherchant vainement à remplir le calibre exigé. La création d’un sonnet en alexandrins sur un thème simple fut un échec lamentable, y compris dans la technique de versification.

ChatGPT est-il intelligent? Oui si l’on s’en tient à la définition étymologique de l’intelligence qui est la capacité de relier logiquement entre eux des objets qui peuvent être éloignés. ChatGPT est-il plus performant que le cerveau humain? Oui, mais sur un seul point: la rapidité. Pour le reste, il s’est révélé un compilateur plus ou moins adroit de milliards de données disponibles sur internet: notre félin GPT a pu donner l’illusion d’un génie HPI. Cependant on doit se souvenir que les informations qu’il a récoltées et assemblées avec tant de célérité et de soin lui ont été fournies par des humanoïdes de chair et d’os. Il n’a rien créé d’original et s’est contenté d’être très performant dans un travail subalterne.

Une créature ne peut, par nature, être supérieure à son créateur: le train va plus vite que le marcheur, mais son invention, sa fabrication, son fonctionnement restent subordonnés à l’humain. Sous ce rapport, ChatGPT n’est pas plus intelligent qu’une tondeuse à gazon. Il fait ce qu’on lui demande de faire selon ses capacités. Pour des raisons ontologiques, un logiciel, quelque puissant qu’il soit, ne dépassera jamais l’informaticien qui l’a conçu. De même que nous pouvons imiter par divers artifices une aile de libellule, la créer à l’identique est hors de notre portée, parce que nous ne sommes pas les créateurs de la libellule. Nous ne pouvons donner une âme à un animal. Nous avons tout inventé pour aller sur la lune, mais sommes incapables de fabriquer un insecte; pas même une patte de mouche. Cela devrait nous enseigner l’humilité et nous rassurer quant à notre puissance réelle.

C’est pourquoi l’athlétique MinetGPT ne surpassera jamais Virgile, Dante ou Shakespeare. Il ne les atteindra même pas: dans ses meilleurs moments, il soumettra à notre tiède admiration des imitations, des pastiches, des «à la manière de». Le pauvre est dépourvu d’inspiration, il est programmé pour brasser promptement des données et les restituer dans un ordre imposé. J’attends le jour, sans doute prochain, qui nous révélera un nouveau concerto de Mozart écrit par un robot, interprété par un pianiste inexistant, accompagné par un orchestre fantôme: le tout numérique, de la composition à l’exécution. Dans un premier temps, on se laissera impressionner par la performance, puis on se lassera, parce qu’il manquera l’essentiel: l’âme.

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