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Pas d’ostracisme envers les Russes!

Jean-François Cavin
La Nation n° 2224 7 avril 2023

Le Comité international olympique (CIO), qui avait recommandé au début de 2022 d’exclure les Russes des compétitions sportives, a modifié sa position. Il juge aujourd’hui qu’il faut les admettre, sous certaines conditions. Ces sportifs ne devraient concourir qu’à titre individuel, et non sous le pavillon de leur pays, et ne doivent pas soutenir activement la guerre, ni être sous contrat avec l’armée russe ou biélorusse, ou avec une agence de sécurité nationale. Cette attitude nuancée recueille l’assentiment de diverses personnalités suisses du sport; mais du côté ukrainien, on entend de vives critiques, voire des cris d’indignation. Le drame d’une guerre d’agression sanglante et, probablement, d’exactions envers des civils, exacerbe les passions de manière bien compréhensible. Mais le CIO doit garder la tête froide.

A l’appui de l’exclusion des Russes, on fait valoir que le Kremlin tirerait gloriole d’un succès des athlètes du pays; cela ne nous paraît pas important de la part d’un régime coutumier du bourrage de crâne. On craint aussi que la présence de concurrents russes puisse choquer les sportifs ukrainiens; on ne doit pas prendre ce souci à la légère et prévoir certaines précautions; mais après tout, l’antique trêve olympique favorisait la rencontre de champions venus de cités ennemies; les athlètes ukrainiens peuvent s’en inspirer. Le CIO, s’il devait s’impliquer dans tous les conflits du monde, n’en finirait pas de bannir des stades ceux-ci, puis ceux-là. Et, que l’on sache, il n’a pas exclu les Américains lorsque les USA violaient le droit international.

La question de fond est celle-ci: un peuple est-il responsable des errements de ceux qui le gouvernent? Un peuple n’est pas une personne. Certes, on peut lui attribuer certaines caractéristiques: l’Italien est charmeur, l’Espagnol fier, le Français cocardier, le Zurichois se croit supérieur, le Valaisan est brutal, le Vaudois molachu. Ce n’est pas tout faux, mais ce sont autant de simplifications, voire de caricatures. On rencontre des Italiens disgracieux, des Zurichois modestes, de douces Valaisannes et même des Vaudois énergiques. Dans un peuple, la multitude est multiple; tous ne suivent pas le chef; certains héros résistent ouvertement au risque de leur liberté ou de leur vie. Dans la population, beaucoup se taisent sans approuver. La nation entière, certes, paie pour les erreurs de ses dirigeants, par la défaite militaire parfois, par l’isolement diplomatique, par les sacrifices qu’impose le conflit, par les sanctions internationales, par une perte de réputation. Mais cette punition collective ne saurait viser chaque individu. Prétendre que chacun doit assumer l’opprobre par solidarité nationale, c’est céder à une forme de totalitarisme qui noie la personne dans l’indifférenciation de la masse.

A cela s’ajoute, en politique réaliste, que la mise au ban de l’humanité d’un peuple tout entier, source de durables rancœurs, ne facilitera pas la normalisation des relations internationales le moment venu. Car les armes se tairont un jour et à l’heure de la non-belligérance, au mieux de la paix rétablie, viendra le temps de souhaitables retrouvailles. Il faut savoir s’y préparer; une rupture radicale aujourd’hui rendra le chemin difficile demain. Mieux vaut garder le contact avec les athlètes de Russie, sur les terrains et dans les salles de sport, comme il convient d’accueillir encore les musiciens de ce pays dans nos salles de concert, s’ils ne s’affichent pas comme des suppôts du Kremlin.

La décision du CIO en matière sportive présente quelque analogie avec la politique suisse de neutralité, qui nous maintient à distance du conflit et évite de couper les ponts. Dans les deux cas, certains y voient de la couardise. Au contraire, face à la déferlante d’hostilité envers le pays de Vladimir Poutine que déverse une quasi-unanimité médiatique, il faut du courage pour tenir bon dans cette attitude de prudence et de raison. Face aux critiques, on en souhaite beaucoup au CIO… et au Conseil fédéral.

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