Identification
Veuillez vous identifier

Mot de passe oublié?
Rechercher


Recherche avancée

Le F-35A ou rien

Edouard Hediger
La Nation n° 2286 22 août 2025

Les avis divergent sur le nombre de répétitions nécessaires pour qu’une pratique devienne une tradition. Il semble néanmoins qu’acheter un avion de combat en en faisant un psychodrame politique en soit bientôt une. Avec nos 8 millions d’experts en aéronautique militaire, il aurait pourtant été surprenant qu’il en soit autrement avec le F-35A.

Prix fixe ou pas, l’avenir dira qui entre la Suisse ou les Etats-Unis avait raison. Mais il est fort probable que le coût du programme d’acquisition aurait connu les mêmes tendances inflationnistes avec un autre modèle d’avion. A l’heure où l’Europe s’engage à investir 5% de son PIB dans sa défense, tout en continuant à soutenir l’Ukraine et sans pour autant en avoir tiré toutes les conséquences en termes d’économie de guerre, le jeu de l’offre et de la demande fait exploser les prix et les délais. Le prix d’un obus d’artillerie a par exemple quintuplé depuis 2022. Dans ce domaine, la Suisse et ses petits volumes d’achat ne peut prétendre influencer les prix, ni même faire partie des clients prioritaires.

Pour ne mentionner que les avionneurs ayant répondu au cahier des charges helvétique dans la dernière procédure d’évaluation: le français Dassault peine à livrer son Rafale dans les temps en raison d’un carnet de commandes particulièrement rempli. Le consortium Eurofighter ferme les unes après les autres les lignes d’assemblage d’un appareil déjà ancien, faute de commandes, les gouvernements donnant la priorité au F-35. Impossible en cas d’achat de garantir la disponibilité de pièces détachées durant plusieurs décennies. Ne parlons même pas du F/A-18 Super Hornet de l’américain Boeing, dont nous aurions été le seul utilisateur avec l’Australie et le Koweït qui en possèdent quelques exemplaires, et l’US Navy qui le remplace progressivement par les F-35B et C. Impossible ici de bénéficier d’économies d’échelle ni de réduire certains coûts en créant des synergies avec nos voisins. Le suédois Saab, qui a retiré son offre de la procédure d’évaluation, connaît quant à lui des défis croissants liés à une chaîne logistique en tension et seuls quelques Gripen sont actuellement opérationnels.

Quoi qu’il en soit, avec ses appels à suspendre le programme d’acquisition, le dernier épisode médiatique et politique sur l’achat du F-35A se distingue par une grande absente: une discussion honnête sur la menace, les besoins et les capacités opérationnelles. A cet égard, la guerre qui sévit en Europe depuis 2022 confirme pourtant largement la pertinence du choix fait en 2021.

La capacité d’alerte précoce fournie par l’avion de Lockheed Martin et sa capacité de fusionner les données de plusieurs types de capteurs sont un atout décisif, notamment contre une menace aérienne qui n’est plus l’apanage de quelques Etats. La guerre en Ukraine ou le conflit irano-israélien consacrent en effet la démocratisation de missiles balistiques et de croisière ou de drones à longue portée et à faible niveau technologique, type Shahed, qu’il est désormais aisé de fabriquer n’importe où et à moindre coût, y compris par des acteurs hybrides. Pour un pays comme la Suisse qui n’a aucune profondeur stratégique lui permettant d’anticiper une telle menace et qui ne dispose pas d’une flotte d’avions de guet aérien, les capacités supérieures de renseignement du F-35A, seul avion de 5e génération en lice dans l’évaluation, changent largement la donne.

La furtivité du F-35A permet quant à elle d’évoluer dans un espace a priori non permissif aux appareils de génération précédente. Israël en a récemment fait une démonstration en Iran. Il est bien plus économe de détruire un lanceur ou une usine de drones à la source que d’attendre que les drones arrivent en épuisant nos systèmes de défense sol-air, pour ne prendre que cet exemple. Actuellement, à part l’engagement aventureux de forces spéciales ou d’hypothétiques partisans loin dans l’avant terrain, l’Armée suisse ne dispose d’aucun autre moyen d’avoir un effet cinétique dans la profondeur adverse. La furtivité permet d’autre part d’avoir un rapport de supériorité vingt fois plus élevé en combat aérien avec un avion de génération précédente et d’appuyer efficacement la manœuvre des forces au sol dans un espace de bataille de plus en plus saturé par les systèmes de défense sol-air à courte portée et les effets de la guerre électronique.

Alors certes, nous pourrions attendre la production d’un avion de 5e génération européen pour bénéficier des mêmes performances sans dépendance vis-à-vis des Etats-Unis. Mais il n’y en a pas. En retard, l’Europe a fait le choix de sauter une génération et de développer directement la 6e avec le SCAF (France/Espagne/Allemagne) ou le TEMPEST (Grande-Bretagne/Italie/Japon). Ils ne seront néanmoins pas opérationnels avant des décennies et leur développement butte régulièrement sur les intérêts divergents des pays prenant part aux programmes. Du reste, alors que nos voisins réorientent tous leurs acquisitions vers des avions de 5e et 6e génération, l’achat d’un avion d’une 4e génération arrivant aux limites de son potentiel de développement serait un pari et une vulnérabilité que nous serions les seuls à assumer.

En 2014, il ne s’agissait que de remplacer les F-5 Tiger. Aujourd’hui, il s’agit de savoir si nous voulons encore une armée capable de remplir ses missions à la fin de la décennie. Vu l’âge vénérable des F/A-18 Hornet bientôt à bout de souffle, la situation de l’industrie de défense occidentale et un horizon stratégique qui se dégrade bien plus vite que nous le voudrions, il n’y a pas d’autre solution que le F-35A.

Alors certes, se préparer à la guerre a un prix, mais la dissuasion c’est aussi montrer qu’on est prêt à se protéger quoi qu’il en coûte. Nous avons un retard immense à rattraper dans ce domaine. La NZZ articulait des dividendes de la paix autour de 140 milliards. Le document «Renforcer la capacité de défense»1 publié par l’Armée en 2024 parle lui de 40 milliards de francs pour remplacer les systèmes qui arriveront à la fin de leur durée d’utilisation ces prochaines années, tout en constituant de nouvelles capacités, et 10 milliards supplémentaires pour reconstituer des réserves de munitions aujourd’hui réduites à leur portion congrue. Le temps presse et contrairement à l’argent, il ne se regagne pas.

La disparition des forces terrestres a été évitée de justesse avec le renouvellement des systèmes d’artillerie et le prolongement de la durée de vie des chars Léopard votés dans le programme d’armement 2025. Evitons maintenant de faire disparaitre les forces aériennes.

Notes:

1   www.vtg.admin.ch/fr/objectifs-et-strategie-de-larmee-suisse-du-futur

Vous avez de la chance, cet article est en accès public. Mais La Nation a besoin d'abonnés, n'hésitez pas à remplir le formulaire ci-dessous.
*



 
  *        
*
*
*
*
*
*
* champs obligatoires
Au sommaire de cette même édition de La Nation: