La monarchie reprend sa place
Face aux angoisses qu’éveillent les guerres commerciales et les conflits militaires, beaucoup de braves gens à l’âme sensible aiment se réfugier dans des histoires de gentils petits animaux attendrissants, rassurants et réconfortants. Genre vidéos de chatons sur les réseaux sociaux. Les braves gens à l’âme sensible répètent d’ailleurs à qui veut l’entendre que les animaux sont plus civilisés et moins cruels que les êtres humains.
C’est ainsi que, durant cet été, alors que nous n’entendions plus trop parler des troupeaux de moutons décimés par les loups, la presse nous a tenus en haleine avec l’affaire d’un chat décapité et jeté dans le jardin de sa propriétaire à Schaffhouse; alors que la police lançait une chasse à l’homme, un vétérinaire a conclu que l’assassin était une bête sauvage1. Dans le Canton de Zoug, c’est un chien qui a dû être achevé après avoir été égorgé par un castor. Au zoo de Leipzig, trois bébés tigres ont été abandonnés par leur mère après leur naissance et ont dû être euthanasiés. Un autre zoo, au Danemark cette fois, a proposé de récupérer des animaux de compagnie pour nourrir ses fauves – solution présentée comme une «alternative éthique» respectant la chaîne alimentaire naturelle. La gent animale s’évertue à se moquer des amateurs de chatons et du véganisme. On nous pousse au développement du râble.
Les seuls animaux qui semblent bien se porter, selon des chercheurs norvégiens, ce sont les ours polaires. «Ils restent en bonne santé et en bonne condition physique, ils se reproduisent, ils vont mieux que nous ne le craignions.» Les experts tentent de se rattraper en ajoutant aussitôt que cela ne va pas durer et que les photos d’ours agonisants que l’on nous montre depuis des années seront bientôt vraies, cette fois c’est promis. Mais en attendant, cette bonne santé ursino-arctique va tout de même donner des ailes à l’infâme climato-scepticisme rampant qui rôde parmi nous… et qui semble s’être infiltré jusque dans les colonnes de 24 heures où l’on a pu lire, alors que montaient les températures d’août, que «la chaleur revient, mais ne devrait pas s’installer durablement». Et nous qui pensions naïvement que c’était le contraire, que la chaleur serait durable parce que notre société ne l’était pas assez…
Et puis il y a les lions. Ceux du zoo de Servion, qui posent majestueusement sur une affiche ainsi libellée: «La monarchie reprend sa place.» Ça c’est durable.
1 Note à l’intention des amateurs d’Alain Chabat: il est doublement faux d’affirmer que «les animals ça mange les corps».
Au sommaire de cette même édition de La Nation:
- Souveraineté numérique en acte – Editorial, Félicien Monnier
- Des Suisses au service de la Grèce – Colin Schmutz
- Une guerre désastreuse – Alexandre Pahud
- Un conte militaire de Carl Spitteler – Lars Klawonn
- La colère et les algorithmes – Olivier Delacrétaz
- Quand la table enseigne à marcher dans le monde – Yannick Escher
- Vaud, champion trop discret de la prospérité suisse – Olivier Klunge
- Le F-35A ou rien – Edouard Hediger
- Pourquoi choisir? – Jean-François Cavin
