Identification
Veuillez vous identifier

Mot de passe oublié?
Rechercher


Recherche avancée

La crainte de la vérité - A un jeune (provisoirement) libéral

Olivier DelacrétazEditorial
La Nation n° 1957 28 décembre 2012

Cher Monsieur,

Vous êtes presque toujours d’accord avec La Nation en matière de politique. Vous êtes fédéraliste, critique à l’égard des partis et de leurs luttes électorales, favorable à la paix du travail et au dialogue syndical, opposé tant à l’étatisme qu’à la suppression des frontières et à la lutte des classes. Nous avons collaboré à plus d’une campagne et ce n’est pas fini.

Et pourtant, nous nous trouvons opposés, disons plus exactement étrangers l’un à l’autre dès que nous abordons certaines questions de principe.

Vous vous rebiffez instinctivement quand on affirme que le débat intellectuel porte sur la vérité: de quel droit une personne ose-t-elle parler de la vérité et prétendre y accéder, alors qu’elle n’atteindra jamais que sa vérité? Peut-être craignez-vous la prétention de l’homme à posséder la vérité et préférez- vous, par prudence morale, rester en deçà. Souci respectable, mais qui laisse entendre que la vérité, ce serait nécessairement toute la vérité, la connaissance entière, directe, parfaitement maîtrisée, étincelante d’évidence. Personne n’y prétend, sauf ces personnages encombrants et prolixes qui savent tout et que les vaudois nomment des satots.

Evitons donc de poser le problème dans l’absolu et ramenons-le à l’être humain ordinaire, vous, moi, qui se pose des questions sur tel fait particulier, telle relation de cause à effet, telle idée générale.

Vous m’accorderez, j’espère, que ce n’est pas parce qu’on ne connaît pas tout qu’on ne connaît rien. Ce n’est pas parce qu’une vérité est difficile à trouver qu’elle est introuvable, ni parce qu’elle est délicate à formuler qu’elle est suspecte. Et ce n’est pas parce qu’elle n’est pas immédiatement reçue par tous qu’elle est fausse.

Mais si humble, partielle, imprécise soit-elle, cette vérité est bien réellement une vérité. Vous-même, d’ailleurs, si vous participez avec tant d’énergie aux débats, c’est bien pour éliminer le faux et vous rapprocher du vrai, non? Alors, pourquoi ne pas faire ce dernier pas qui serait d’accepter en doctrine ce que vous acceptez en fait?

Beaucoup de personnes ont reçu leurs idées comme elles ont appris à se tenir à table: on fait ceci, on ne fait pas cela, on pense ceci et on ne pense pas cela. Les idées ainsi transmises constituent moins une philosophie raisonnée qu’un ensemble de rites sociaux qui valent par leur stabilité. Sur le plan individuel, ces idées sont un aspect de votre personnalité. Vous ne tenez pas plus à en changer qu’à modifier votre accent ou la forme de votre nez. En ce sens, votre réserve à l’égard du débat de principes est une manière de les protéger.

Le système peut faire illusion dans les discussions courantes. On en voit les limites lorsqu’on aborde des thèmes nouveaux. Ainsi du débat sur l’Europe, où maint libéral, fédéraliste, attaché au dialogue social, partisan de la défense armée, a d’un coup fait litière de la souveraineté suisse et de la protection des autonomies cantonales pour se muer en néo-libéral mondialisant. Je m’empresse d’ajouter que ce n’est pas votre cas.

Quand je dis que je connais une chose, cela signifie qu’elle est présente à mon esprit, sous une forme immatérielle, certes, mais néanmoins bien réelle, adéquate, proportionnée. Pour vous-même en revanche, la connaissance semble n’être qu’une simple compénétration de votre réalité personnelle et de la réalité du monde extérieur. C’est un processus moins spirituel que biologique, un mécanisme d’adaptation qui vous enrichit d’apports extérieurs.

Si la connaissance est une composition de l’objet connu et du sujet connaissant, ce dernier se retrouve forcément au milieu de chaque image qu’il se fait de la réalité. Cette interférence subjective ne peut que renforcer vos réserves à l’égard d’une vérité prétendument universelle et vous dissuader de la présenter comme telle à autrui. Et de cet autrui, vous attendez qu’il procède de même à votre égard.

Cela explique la coexistence, chez le libéral, d’un respect sincère pour l’adversaire et d’une assurance telle qu’elle le dispense de l’approbation des autres. A la limite, il ne ressent même pas le besoin d’argumenter à l’appui de ses positions.

En effet, paradoxalement, le libéral qui demande «qu’est-ce que la vérité?» est en général beaucoup plus sûr de lui et de ses positions que celui qui affirme simplement l’aptitude humaine à connaître la vérité. Ce paradoxe, que vous illustrez parfois d’une façon tonitruante, ne vous donne-t-il pas à penser?

Vous avez de la chance, cet article est en accès public. Mais La Nation a besoin d'abonnés, n'hésitez pas à remplir le formulaire ci-dessous.
*


 
  *        
*
*
*
*
*
*
* champs obligatoires
Au sommaire de cette même édition de La Nation: