Juvenilia CX

Cette journée de randonnée d’arrière- été sur la crête du Jura serait parfaite si Rosanne cessait de se plaindre du soleil, de la pente, des cailloux, de la durée de la marche, des insectes, de ses chaussures. Rien ne peut vaincre son humeur: ni la beauté du panorama, ni le plaisir de ses camarades, ni le cervelas grillé. («J’en ai marre! Il est tombé dans la cendre!»)

Arrivée au sommet d’une côte, rosanne détaille les désagréments de sa transpiration. Fatigué par ses jérémiades, je lui désigne Lausanne, au loin dans la brume légère et dorée de la fin de l’après-midi:

– Tu distingues le plus grand bâtiment visible, au centre des espaces construits? C’est le CHUV. A l’intérieur, il y a des centaines de personnes qui souffrent sur un lit et qui prendraient volontiers ta place.

Contre toute attente, je n’ai pas besoin de développer l’argument pour qu’elle cesse immédiatement de geindre et rejoigne, sans un commentaire, la joviale cohorte de ses pairs.

Quelques semaines plus tard, dans les pages du grand quotidien vaudois: «Sylvie G. et ses filles Rosanne et Aline ont le chagrin de faire part du décès de Roland G. enlevé à l’affection des siens à l’âge de 43 ans, après une longue maladie.»