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Premier pas modeste

Cédric Cossy
La Nation n° 1957 28 décembre 2012

Le conseiller fédéral Alain Berset a présenté à fin novembre son projet de réforme du système de retraites. Celui-ci prévoit la généralisation de l’âge de référence de la retraite à 65 ans, la flexibilisation de cet âge, vers le bas comme vers le haut, et la réduction à 6,4% du taux de conversion minimal d’ici 2016.

Avec ses propositions, M. Berset fait un pas en direction de l’union Patronale1 qui, outre la réduction à 6,4% du taux de conversion, préconise l’élévation à 67 ans de l’âge de la retraite, élévation diluée progressivement sur les douze à vingt prochaines années. Cette concession est toutefois jugée inadmissible par les camarades de parti de M. Berset. Mme Cesla Amarelle exige l’égalité salariale et sociale entre hommes et femmes avant d’envisager l’augmentation de la retraite de 64 à 65 ans pour les femmes. Jacqueline Fehr, quant à elle, claironne que: «Il n’y a aucune raison de diminuer les rentes dans un pays riche comme la Suisse.»

Mme Amarelle ne manque pas de culot lorsqu’elle évoque le principe d’égalité pour précisément revendiquer le maintien d’une inégalité. Pour s’opposer à l’optimisme gratuit de Mme Fehr, une plongée dans les mécanismes techniques de la loi sur la prévoyance professionnelle (LPP) et ses ordonnances d’application est nécessaire.

La LPP impose aujourd’hui un taux de conversion minimum de 6,9% (6,8% dès 2014) pour la part obligataire de la prévoyance professionnelle. Ce taux correspond à la part du capital retraite (somme des cotisations du salarié et de l’employeur, additionnée des intérêts cumulés durant la carrière du cotisant) qui sera versée chaque année sous forme de rente. Le capital initial suffirait pour servir des rentes durant 14,5 ans (=100/6,9). Il est heureusement réalimenté par les intérêts versés sur le solde du compte, intérêts calculés sur un taux technique fixé de manière définitive à la date du départ en retraite. Les taux techniques appliqués actuellement par les caisses de pension se situent autour de 3 à 3,5%. Par exemple, avec un taux de conversion à 6,8% et un taux technique de 3,5%, le capital initial et ses intérêts cumulés couvrent environ 20,5 années de rentes.

L’augmentation de l’espérance de vie présente un premier problème. Un homme fêtant ses 65 ans en 2012 vivra statistiquement encore vingt-et-un ans; sa veuve, statistiquement plus jeune que lui, lui survivra quatre ans. La caisse doit donc se préparer à verser des rentes durant vingt-cinq ans. Même rémunéré à 3,5%, le bas de laine de l’assuré n’est pas suffisant.

Le second problème tient au taux d’intérêt technique appliqué. Compte tenu des frais de gestion, la caisse devrait assurer un rendement financier d’au moins un demi-pourcent supérieur au taux technique pour maintenir sa couverture. Or, les caisses de pensions ont réalisé une performance moyenne de 2,2% entre 2001 et 2011, ce qui laisse en théorie 1,6% de rendement net. Ainsi rémunéré, le capital retraite sera de fait épuisé après dix-sept ans de rentes.

La surévaluation du taux technique est imposée par le taux de conversion minimum afin d’ajuster les bilans aux contraintes actuaires. Cette pratique induit aujourd’hui déjà des distorsions entre les générations en ce qui concerne la rémunération du capital: si les retraités bénéficient de 3 à 3,5% de taux technique, les assurés actifs sont généralement rémunérés à hauteur du minimum légal de 1,5%. Ce minimum peut même être abaissé à zéro si la caisse est en sous-couverture. Les jeunes sont aujourd’hui déjà sollicités pour assurer les rentes de leurs aînés.

Trois issues sont possibles pour sortir du cercle vicieux. On peut tout d’abord rêver de retrouver les rendements sur capitaux – mais aussi l’inflation – de 1982, date de l’adoption de la LPP. Mais tabler sur des rendements dépassant durablement 4,5 à 5% dans la situation boursière actuelle semble peu réaliste: le taux actuel de 0,5% offert pour les obligations à dix ans de la Confédération donne le ton.

La deuxième voie passe par une réduction significative des taux de conversion et d’intérêt technique. Une récente étude2 de l’Institut für Versicherungswirtschaft de l’université de St- Gall prévoit, si rien n’est entrepris, une sous-couverture de rentes de l’ordre de 55 milliards en 2030. Si l’âge de la retraite reste inchangé, l’étude conclut à la nécessité de réduire rapidement le taux de conversion de 6,8 à 5,8% pour éviter la rupture du «contrat intergénérationnel». Notons qu’une telle réduction représente une baisse substantielle de 15% des espérances de rentes pour les futurs retraités. C’est probablement difficilement supportable, voire illégal3, pour les personnes proches de la retraite, ayant établi leurs plans financiers sur des bases plus généreuses.

La dernière solution implique des sources de financement supplémentaires. L’augmentation de l’âge de la retraite est une piste, qui augmente à la fois la durée de cotisation et réduit la durée des rentes. Mais le monde politique ne semble pas encore prêt à une telle éventualité.

Les caisses sont juridiquement des fondations indépendantes. En cas de couverture insuffisante, la LPP les oblige à prendre des mesures d’assainissement. Si la suppression des intérêts versés aux assurés actifs ne suffit pas, des cotisations ou des recapitalisations à fonds perdus seront exigées des actifs et de l’employeur pour effacer l’ardoise. Que l’on soit socialiste ou entrepreneur, ceci n’est pas acceptable. Il ne restera dès lors que le refinancement étatique des caisses insolvables, ce qui reviendra à faire payer les mêmes acteurs économiques via l’impôt.

Il faudra donc probablement un effort de tous pour stabiliser le système des retraites en Suisse. Du côté politique, l’augmentation de l’âge de la retraite ne doit plus être un tabou: c’est la solution la plus rapide pour capitaliser correctement les rentes des personnes proches de la retraite. Les entreprises devront probablement passer à la caisse pour compenser les défauts de capitalisation des rentiers les plus récents, à moins que des rendements financiers favorables permettent aux caisses de se passer de cette contribution. Il faudra enfin baisser le taux de conversion, ce qui forcera les travailleurs plus jeunes à cotiser plus, de manière forcée ou bénévole, ceci afin de s’assurer des rentes viables dans quinze ou vingt ans.

L’augmentation de l’espérance de vie et la réduction des rendements sur les capitaux permettent de prédire la faillite du système de prévoyance professionnelle tel que prévu par la LPP. Contrairement à ses collègues de parti, M. Berset semble l’avoir compris, mais les demi-mesures qu’il est prêt à défendre n’y suffiront pas. Quant aux assurés, ils doivent se préparer à cotiser plus pour assurer des vieux jours qui se multiplient.

 

NOTES:

1 «L’union patronale veut un 2e pilier plus coûteux», Le Temps du 6.11.2012.

2 Conférence de presse du 4.12.2012, voir http://www.ivw.unisg.ch/ueber+uns/Aktuelles.aspx 3 L’art 1 al.1 de la LPP précise que «la prévoyance professionnelle comprend l’ensemble des mesures […] pour permettre aux personnes âgées, aux survivants et aux invalides […] de maintenir leur niveau de vie de manière appropriée, lors de la réalisation d’un cas d’assurance vieillesse, décès ou invalidité».

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