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Suivez le guide- De la Palud au Château

Ernest Jomini
La Nation n° 1957 28 décembre 2012

Non, nous ne monterons pas la rue de la Madeleine. Lausanne est connue pour ses montées et ses descentes. Si les Lausannoises sont réputées pour avoir de fort belles jambes, c’est, diton, à cause de la musculature que leur procure notre ville en pente. Mais plus soucieux du confort de leurs administrés que de la beauté des jambes des Lausannoises, nos édiles, ces dernières années, se sont ingéniés à installer ascenseurs et escaliers roulants. Les jambes de certains de nos touristes et les nôtres n’étant plus de première jeunesse, nous allons donc descendre en direction de la Louve et prendre les escaliers roulants qui nous hisseront jusqu’à la Riponne. Tout en admirant au passage une rame de Métro circulant sans conducteur, ce qui ne peut qu’impressionner nos touristes étrangers.

Ah! La riponne! Interrogé il y a deux ou trois ans par un journaliste de 24 heures, un couple de touristes japonais, qui avait beaucoup voyagé, a fait cette déclaration: «C’est la place la plus laide du monde.» Etrange record pour Lausanne! Pendant des années, nous avons regardé chaque jour cette place du haut de la cour de récréation du Collège classique cantonal situé à l’endroit où se trouve maintenant le grand immeuble qui va du «vaudois» à l’église méthodiste (au printemps 1937, le Collège classique émigra à Béthusy).

Du préau surélevé – car on entrait au collège par le valentin –, nous pouvions contempler tout à loisir le faux palais florentin style renaissance, construit à la fin du XIXe siècle et qui laisse nombre de nos touristes pantois. On l’appelle Palais de rumine, du nom du richissime aristocrate russe qui vécut à Lausanne au milieu du XIXe siècle. Il légua à la ville une somme considérable. On l’utilisa quelques années plus tard pour construire ce palais lorsque, en 1890, les autorités vaudoises décidèrent de transformer l’ancienne Académie en université grâce à la création des nouvelles Facultés de Sciences et de Médecine.

Sur l’esplanade à droite du palais, un grand personnage, engoncé dans sa redingote, debout sur son socle de pierre: le conseiller fédéral Louis Ruchonnet («le grand Louis» disaient les vaudois), un des artisans principaux de la création de l’université. Il apporte sa caution morale à l’œuvre architecturale de prestige qui devait affirmer au vu de tout le Canton la gloire du parti radical vaudois régnant alors sans partage. L’actuel gouvernement socialiste-radical- écolo, qui comptait éblouir la postérité par une œuvre architecturale magistrale, aura eu moins de succès avec Rosebud.

Du haut du préau du Collège, on voyait aussi la Grenette, ancienne halle aux grains, édifice couvert aux piliers de grès, qui abritait le marché. (On trouve encore une grenette à Vevey, Moudon et Aubonne.) Nous avons assisté, en 1933, à la destruction de ce bâtiment typique d’une Lausanne encore très paysanne. Quelque temps après, notre maître de français nous donna lecture en classe de l’article de Ramuz, paru dans la Gazette de Lausanne, invitant les vaudois à détruire le Palais de rumine et à reconstruire la Grenette.

On dit que l’architecte du Palais de rumine était un Lyonnais qui n’avait jamais mis les pieds à Lausanne au moment où il élaborait les plans. Il n’y vint qu’une fois la construction achevée et s’écria: «Si j’avais su dans quel site on construisait cet édifice, je n’aurais jamais fait de tels plans.» La construction du Palais de rumine et, quelques années plus tard, de la rue Pierre Viret et du pont Bessières entraînèrent la destruction de tout un quartier historique. Les vaudois attachés au vieux-Lausanne tentèrent en vain de s’y opposer.

Mais vive la modernité! Il y a quelques années, on a installé à l’intérieur du palais des ascenseurs qui vont nous hisser jusqu’à l’étage où se trouve le musée de zoologie. Puis on a construit ces dernières années une passerelle qui franchit la rue Pierre viret et nous amène au chemin longeant la colline de la Cité juste en dessous de l’ancienne Académie. Cette construction est-elle le résultat du déplacement du Grand Conseil de la Cité à l’Aula de rumine? L’idée nous est venue le jour où, conduisant un groupe de dames anglaises sur le chemin qui monte vers le Château, nous eûmes l’heureuse surprise de croiser le Conseil d’Etat in corpore accompagné du chancelier qui descendait du Château pour se rendre à rumine.

Nous voici donc maintenant juste en dessous de l’Ancienne Académie. L’instauration de la réforme en Pays de Vaud par les Bernois en 1536 contraignit nos nouveaux maîtres à prendre en mains la formation des pasteurs pour la nouvelle Eglise. D’où la création, en 1537 déjà, de l’Académie de Lausanne. A l’origine, on n’y enseignait que la théologie. Les premiers cours se donnèrent dans le chœur de la cathédrale, à l’époque séparé de la nef par un jubé et désormais inutilisé puisque le nouveau culte protestant se déroulait dans la nef. Les fidèles étaient groupés autour de la chaire pour mieux suivre le long sermon qui constituait la plus grande partie du culte. Du chœur de la cathédrale, l’Académie se déplaça ensuite au château de Menthon à la Cité-Derrière. Enfin, en 1587, les professeurs et étudiants purent entrer dans le nouveau et magnifique bâtiment qui est aujourd’hui le Gymnase de la Cité. Au XVIIe siècle, l’enseignement des Lettres et du Droit furent introduits à l’Académie. Accolée au bâtiment, on voit encore une tour, reste de la muraille fortifiée qui séparait la Cité, domaine propre de l’évêque et du chapitre, du reste de la ville.

En continuant notre chemin, nous arrivons à une petite place agrémentée d’une vieille fontaine: c’est la place André Bonard (1888-1959). Les Lausannois ont eu raison de rappeler ici le souvenir de ce grand helléniste, professeur au Gymnase, puis à la Faculté des Lettres, qui fut stupidement traîné au tribunal en 1954 et condamné à quinze jours de détention avec sursis à cause de ses menées communistes qui n’ont d’ailleurs guère mis en danger la Confédération.

Encore un petit effort et nous voici au Château St-Maire.

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