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Autour de la Dent (IXe Marche du Pays)

Jacques Perrin
La Nation n° 1898 24 septembre 2010
Bergwandern befreit. Wandern hilft Stress abzubauen und verbessert die Konzentration. So sind Sie den Herausforderungen des Berufs eher gewachsen.

Commencer en allemand un compterendu sur la IXe Marche du Pays est culotté. C’est que le soussigné, par pure coïncidence, lit les pages «Karriere» du quotidien allemand die Welt en attendant le train qui le conduira de Lausanne à Montreux. Une photo montre une blonde executive woman déguisée en randonneuse, avec mini-sac à dos, chemise de paysan, lunettes à soleil, chaussures ad hoc et bâtons d’aluminium, cherchant sans doute à «se libérer du stress», à «améliorer sa concentration» pour être enfin à la hauteur des «exigences de sa profession».

Ce ne sont pas ces «objectifs» que poursuit la randonnée préalpine sur les hauts de Montreux, IXe Marche du Pays. Il ne s’agit pas d’améliorer on ne sait quelles performances, mais d’éprouver le pays dans notre corps, par la vue, les quadriceps et les genoux, puisque cette fois, c’est une longue descente qu’il faudra affronter.

La veille du départ, deuxième coïncidence, le municipal montreusien Jean- Claude Doriot (avec un nom pareil il ne pouvait que mal finir…) a été condamné à quinze mois de prison avec sursis. Samedi 4 septembre, nous quittons donc l’ex-fief du socialiste bling-bling pour nous rendre en train (Goldenpass! Marmottes paradis!) à la station de Jaman. La rame est bondée, une académie de cor des Alpes en costume se rend aux rochers-de-Naye; des touristes asiatiques ne retiennent pas de petits cris d’admiration en apercevant brièvement le Château de Chillon.

A l’arrivée, après une orientation géographique donnée par notre guide Alexandre Pahud, nous empruntons un sentier dans la combe, sur des pierres et des racines rendues glissantes par la rosée. Nous pestons à l’ombre du Merdasson, dont le nom semble avoir influé sur la qualité de la pente. Au bout de deux cents mètres de dénivelé, nous sommes au col de Jaman.

Depuis 2003, les journalistes préposés aux prévisions météorologiques ont pris l’habitude de nous annoncer un été «tropical», par quoi ils désignent une simple sécheresse ou quelques jours de canicule. Cette année, malgré les prévisions catastrophistes, nulle trace de sécheresse. Nous sommes au début de septembre et le vert foncé domine. L’arrière- pays de Montreux a bien un aspect «tropical», mais il lui est donné par ce vert sombre et humide qui se marie bien avec le bleu limpide du ciel. Sur l’autre rive du lac, le Grammont, les Cornettes de Bise et le Pic de Borée transpercent une fine couche de nuages. Le temps est dégagé, fait rare dans les Préalpes. Nous apercevons l’embouchure du rhône.

Nous montons (enfin!) le long de la chaîne des Verraux jusqu’à 1860m, point culminant de la balade, en dessous de la Cape au Moine. Nous jetons un coup d’oeil sur la combe d’Allières. Puis la descente (raide) reprend en direction du col de Soladier à 1576m. Nous pique-niquons dans un champ de myrtilles, dérangeant deux coqs de bruyère qui s’envolent avec un bruit inquiétant, quasi hitchcockien. Pour nous calmer, un peu d’étymologie: l’emplacement du pique-nique borde la forêt d’Assajor. «Jor» est un mot gaulois qu’on retrouve dans «Jura», «Jorat», «Joux», signifiant «forêt». «Assajor» veut dire «forêt brûlée». Un participant nous rend attentifs à une curiosité «frontalière». En général, la ligne de partage des eaux fait office de limite. Ce n’est pas le cas à l’endroit où nous sommes, la frontière fribourgeoise se dessinant chaotiquement dans le ravin de la Veveyse de Fégire. Nous avons une vue sur notre randonnée d’il y a deux ans: Teysachaux, la Dent de Lys, le Moléson.

Après le pique-nique, un sentier de forêt nous fait remonter au sommet du Molard. Une récompense «patriotique» nous y attend. Une petite famille apprête ses grillades, mais cela ne nous empêche pas de jouir d’une vue presque complète du Pays. Nous voyons la banane bleue du lac, Vevey, Châtel-Saint-Denis, la chaîne du Jura sur toute sa longueur, le Jorat, le Gros-de-Vaud; seule la Broye manque. Nous devinons même le Suchet dans la brume, voire notre cher Valeyres-sous-rances.

Il faut bien quitter ce lieu enchanteur. Ça descend à nouveau, par un chemin en forme de U près du chalet de la Forcla (Forcla, Forclaz, Furka, du latin furcula, petite fourche), vers le vallon boisé d’Orgevaux, la Cergnaule, Sonloup. A ceux qu’une longue descente ennuie, notre guide fait la conversation. Il est intarissable sur les invasions barbares et la chute de l’Empire romain. Les plaisanteries, au-delà du politiquement correct, sont aussi glissantes que la pente du début à l’ombre du Merdasson. L’Empire romain est mort étouffé par une fiscalité si impopulaire que le Franc Chilpéric, selon Grégoire de Tours, brûla les livres d’imposition pour calmer la colère divine… et empêcher le retour des impôts directs.

Le funiculaire nous fait profiter d’une trop courte pause et nous arrivons aux Avants. Nous passons devant le pensionnat «le Châtelard» où nous lisons: «Haute école de valeurs humaines pour jeunes filles». Allonsnous livrer celles qui nous accompagnent à cet institut? Une petite cure de «valeurs», au XXIe siècle, cela peut-être utile… Mais non, nous n’aurons pas cette cruauté. En revanche nous nous moquons du rédacteur en chef de La Nation qui s’approvisionne à un «Selecta». Le métier de maître secondaire est aujourd’hui bien déconsidéré pour que M. rochat en soit réduit à tirer sa subsistance d’un automate de gare… Et ce n’est pas sa tâche de rédac’chef qui met du beurre dans ses épinards…

A côté de l’église des Avants, nous empruntons un sentier rejoignant la Baye de Montreux. Cette rivière agrémentée de cascades se loge au fond des gorges de Chauderon. Des parois de près de trente mètres sont recouvertes de lierre, de fougères et d’autres plantes luisantes sous le soleil qui darde ses rayons à travers les hauts arbres. C’est l’Amazonie!

Le retour à la civilisation est brutal. On risquerait presque le cliché touristique le plus éculé: «Vaud, terre de contrastes!» A la sortie du tunnel de Glion, nous nous trouvons sous l’autoroute au pied d’un gigantesque pilier (autoroute que vitupère M. Beat Kappeler dans le Temps du 4 septembre, troisième coïncidence, parce qu’elle gâche le paysage au-dessus de Chillon). Les premiers tags nous réconcilient avec la vie urbaine. Nous traversons ensuite les Planches dont certaines maisons datent de la fin du XVIe siècle. Le propriétaire de l’une d’elles nous montre une plaque dédiée au sculpteur tchèque F. Simecek (1898-1950) qui envisageait, à la mode américaine, de tailler à même le rocher trois figures géantes dans les carrières de Saint-Triphon.

Nous contemplons un instant la maison Visinand, puis c’est l’arrivée à la gare de Montreux.

Les participants se saluent et se dispersent, les jambes cotonneuses. Ils ont vu la Dent de Jaman sous tous les éclairages, au cours d’une descente aussi vertigineuse que vaudoise.

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