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Processus de Bologne: la sauce ne prend pas

Cosette Benoit
La Nation n° 1898 24 septembre 2010
Nous avons été témoin des manifestations des étudiants lausannois contre le «processus de Bologne» en novembre dernier. A coups de spatules sur des casseroles, des foules tonitruantes défilaient dans les couloirs de l’Université pour réclamer de meilleures conditions d’études, un allègement du programme des cours, des taxes universitaires moins élevées, un accroissement des bourses d’études, un traitement plus égalitaire, une meilleure représentation féminine dans le corps professoral, une plus grande liberté académique, etc. Autant dire que ce fatras de revendications pour la plupart déraisonnables nous a agacée plutôt que de nous inciter à réfléchir aux failles réelles de la réforme de Bologne.

Car elles existent, comme les recteurs des universités suisses eux-mêmes le reconnaissent aujourd’hui.

Rappelons que cette réforme a été lancée en juin 1999, lorsque les ministres de l’éducation de vingt-neuf pays européens se sont réunis à Bologne pour signer un accord visant à unifier les systèmes universitaires. C’est à M. Charles Kleiber, ancien secrétaire d’Etat à la science et à la recherche, que nous devons l’entrée des universités suisses dans cet important processus de remaniement1. Les formations académiques s’organisent sur deux cycles suivant le modèle anglo-saxon: trois ans de bachelor (appelé aussi «baccalauréat» ou «licence») complétés par un à deux ans de master (maîtrise). Un système d’équivalence des programmes d’études est mis en place afin de faciliter la mobilité des étudiants, des enseignants et des chercheurs entre les universités. L’étalon commun utilisé est le crédit ECTS (European Credit Transfer System, Système européen de transfert et d’accumulation de crédits) qui permet de quantifier la valeur des cours en fonction du temps de travail requis (pour obtenir un crédit, l’étudiant doit fournir environ trente heures de travail). Cette uniformisation des structures académiques vise à mettre les universités en concurrence afin de garantir à la fois leur niveau d’excellence et l’accroissement de leurs spécificités.

A l’heure d’évaluer les résultats de cette révision majeure du système universitaire, l’enthousiasme diminue: Dix ans après la réforme de Bologne, les nouvelles structures d’études universitaires posent toujours des problèmes d’organisation. Les recteurs l’ont reconnu mardi à Zurich lors d’une réunion annuelle. Principal grief: les étudiants sont surchargés. Paradoxalement, l’un des buts de la réforme était de condenser les horaires des cours, a rappelé à l’ATS le recteur de l’Université de Zurich, Andreas Fischer. Ils se sont pourtant alourdis et un examen en chasse un autre, concède-t-il. «Nous devons réétudier les cursus et réfléchir au nombre d’épreuves nécessaires.»2

Malgré les programmes de cours chargés et le nombre important d’examens, il apparaît que la qualité des études est en baisse. Plus préoccupés d’amasser le nombre de crédits exigé que de se construire un savoir solide, les étudiants finissent par se lasser d’un système étroit qui ne répond pas à leurs attentes intellectuelles, ne leur laisse pas le temps d’aller au fond des choses et ne stimule pas leur réflexion. Les études académiques sont devenues plus scolaires, les cours de méthodologie se sont multipliés au détriment d’un approfondissement de la discipline proprement dite. Certes, nos universités forment des gens capables de rédiger une bonne problématique, de faire une bibliographie impeccable, de résumer des articles, de formuler des critiques générales sur n’importe quelle prise de position, mais leur enseignent-elles à s’approprier réellement la matière qu’ils ont choisie d’étudier? Notre propre expérience d’étudiante nous permet d’en douter.

Dans l’esprit du processus de Bologne, la compétition entre universités doit relever la qualité générale des études. Il faut donc encourager la mobilité afin de faire jouer la concurrence entre les établissements qui devront se perfectionner pour attirer le plus grand nombre d’étudiants possible. Il s’avère néanmoins que l’accord de Bologne ne facilite pas les échanges interuniversitaires, pourtant l’un des buts principaux de la réforme, car la rigidité du cursus au niveau du bachelor a pour conséquence de les limiter considérablement.

Face à l’état préoccupant de nos structures universitaires, quelle sera la solution? Une réforme? Il importe alors de se demander si les révisions incessantes du système scolaire et académique ne sont pas à la base des problèmes que nous rencontrons actuellement: diminution de la qualité des formations, insatisfaction des étudiants et des enseignants, complexité croissante des démarches administratives.

Les structures académiques se sont constituées progressivement; c’est au fil des siècles que les universités ont développé leurs spécificités en fonction de leur tradition et de la qualité de leurs enseignants, chacune suivant son propre parcours. On ne peut nier leur individualité historique. Les résultats décevants de la réforme de Bologne montrent que l’effort si prometteur d’uniformisation mène à un bouleversement de ce qui a été construit lentement, mais sûrement, en fonction des besoins et des ressources de chaque région. Au lieu d’envisager une nouvelle réforme, constatons l’échec et osons revenir en arrière.

 

NOTES:

1 Le 19 juin 1999, Charles Kleiber «engage la Suisse dans le processus de Bologne en plaçant souverainement les cantons, les universités, le parlement fédéral et le peuple devant le fait accompli.» (O. Delacrétaz, «L’égalité aggrave les inégalités», La Nation, 31 août 2007, no 1818). En signant cet accord sans en avoir l’autorité – les universités sont de la compétence des cantons et non de la Confédération –, M. Kleiber a réussi une action digne d’un coup d’Etat.

2 Dépêche de l’ATS du 31 août 2010.

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