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Nouveau chantage de la Libye

Nicolas de Araujo
La Nation n° 1898 24 septembre 2010
Dans son célèbre roman Le Camp des saints, Jean Raspail imagine qu’un million d’Indiens miséreux, embarqués sur une armada de cargos, font route vers l’Europe et débarquent sur les plages de France, mettant fin à la civilisation occidentale.

Ce livre paru en 1973 a été jugé prophétique par certains.

M. Raspail compte-t-il parmi ses lecteurs Mouammar Kadhafi? Les propos récemment tenus par le chef d’Etat libyen à Rome pourraient le faire croire1.

«Demain peut-être que l’Europe ne sera plus européenne et même noire car ils sont des millions (d’Africains) à vouloir venir», a […] déclaré Kadhafi. Il a qualifié ces mouvements migratoires de «chose très dangereuse».

«Nous ne savons pas ce qui se passera, quelle sera la réaction des Européens blancs et chrétiens face à ce flux d’Africains affamés et non instruits», a-t-il dit avant d’ajouter: «Nous ne savons pas si l’Europe restera un continent avancé et uni ou s’il sera détruit comme cela s’est produit avec les invasions barbares.»

Après avoir dépeint en de si vives couleurs le tableau de notre prochain anéantissement, M. Kadhafi offre néanmoins ses services pour garantir l’Europe du péril qui la menace. Contre 5 milliards d’euros, il propose à l’Italie de freiner l’immigration clandestine transitant par son pays.

La Libye «est la porte d’entrée de l’immigration non souhaitée» qu’il faut «stopper sur les frontières libyennes», a argué le dirigeant libyen. […]

Le traité italo-libyen prévoit notamment le refoulement vers la Libye des migrants clandestins cherchant à atteindre les côtes italiennes ainsi que 5 milliards de dollars d’investissements italiens en dédommagement de la colonisation, notamment pour 1.700 km d’autoroute sur le littoral libyen.

En résumé, et pour dire les choses carrément: Répondre à la demande libyenne est dans l’intérêt de l’Europe, qui sinon, «demain, avec l’avancée de millions d’immigrés, pourrait devenir l’Afrique», a affirmé le colonel Kadhafi […].

Apparemment, M. Kadhafi n’a pas une très haute opinion des Africains. Par contre, il défend une image positive de l’Europe «avancée». Il semble croire que celle-ci veut garder son identité blanche et chrétienne. Partant de cette idée, le dirigeant libyen pratique une nouvelle fois le chantage (avis aux europhiles: l’appartenance à l’UE n’empêche pas l’Italie de subir le même genre de pressions que la Suisse). Les termes pourraient être les suivants: ou bien vous payez, ou j’ouvre les vannes de l’immigration africaine sur l’Europe.

En politique, la géographie constitue un facteur essentiel. L’Italie se trouve en situation de faiblesse pour tout ce qui concerne l’immigration clandestine. Le pays tout entier est fait de côtes. Cela rend très difficile le contrôle de l’immigration clandestine par la mer, et la lutte contre les nombreux réseaux de «passeurs». L’Italie est contrainte de collaborer étroitement avec ses voisins immédiats sur ce thème. De l’autre côté de la Méditerranée, la Libye occupe naturellement une place stratégique pour le passage de l’Afrique en Europe.

La situation est presque la même pour l’Espagne vis-à-vis du Maroc.

M. Kadhafi a vu qu’il y avait là une chance à saisir. Gageons que la Libye ne voudra pas appliquer trop fidèlement ses promesses et maintiendra un certain taux d’immigration clandestine, ne serait-ce que pour conserver un moyen de pression sur l’Italie et ne pas tarir irrémédiablement le flux d’immigrés transitant par son territoire.

L’Italie devra donc se montrer vigilante en cas d’accord.

On reste frappé par la liberté de langage du chef d’Etat libyen. Alors qu’en Suisse l’UDC essaie pathétiquement de trouver des jeux de mots plus ou moins subtils («moutons noirs») pour faire passer son message, Kadhafi dit les choses ouvertement. Il n’hésite pas à qualifier l’immigration africaine de «très dangereuse», en la comparant aux hordes de Huns et de Vandales qui détruisirent l’empire romain au début de notre ère. Quant à sa représentation du monde digne de Tintin au Congo, elle semble calculée pour flatter les Européens. Il n’est pas sûr que cela marche. Quoi qu’il en soit, le dirigeant libyen exprime ce mélange de cajolerie et d’agressivité qui caractérise le marchand de tapis.

Tout cela ne renforce pas la crédibilité du colonel Kadhafi. Mais a-t-il besoin de crédibilité? Avec son toupet habituel, il n’hésite pas à recourir à la menace et au chantage, sachant que ses interlocuteurs, en général, finissent par céder. La leçon se vérifie: dans les rapports entre Etats, tout aveu de faiblesse renforce l’agressivité de l’adversaire.

Pour conclure, nous ne croyons pas que l’Europe puisse être détruite par une invasion de miséreux venus du tiers-monde, à moins que la faiblesse démographique et culturelle des Européens n’entraîne la disparition des populations nationales. Mais en ce cas – nous l’expliquions il y a quelque temps dans ces colonnes2 –, il faudrait diagnostiquer le suicide plutôt que la mort par envahissement.

 

NOTES:

1 Dépêche de l’Agence France Presse, 31.08.2010.

2 «Affiches UDC: un amalgame dangereux», La Nation n° 1818, 31 août 2007.

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