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Le franc fort

Jean-François Cavin
La Nation n° 1922 26 août 2011
Un franc suisse fort comme jamais face à l’euro et au dollar, notre industrie d’exportation et notre tourisme en proie à l’inquiétude, la Bourse au plus bas sur presque toutes les places du globe, les Etats-Unis d’Amérique dégradés au rang de débiteur un peu douteux par une agence de notation, des banques centrales cachant mal leur impuissance derrière de pauvres effets d’annonce, des rencontres au sommet proches du fond de l’abîme, quelle tempête sur la finance mondiale!

Les crises sont généralement prévisibles dans leur principe, mais on ne sait ni quand ni comment elles éclateront, en particulier quelle sera leur ampleur. La crise de l’euro couve pratiquement depuis sa création, après un début en fanfare; car une monnaie ne peut inspirer confiance que si elle est l’expression d’un Etat, ou d’un groupe d’Etats, menant une politique financière digne de cette confiance. Or les «critères de Maastricht» fixés à l’origine, portant sur l’ampleur de la dette et des déficits publics, n’ont jamais été pleinement observés; bientôt plusieurs Etats les ont ouvertement violés, ou ont truqué leurs statistiques pour avoir bonne façon. Le gouverneur de la banque centrale européenne, gardien de l’euro, devait savoir que plusieurs pays trichaient, et il trichait lui-même en feignant de croire qu’on pouvait continuer de la sorte.

Quand il apparaît que la Grèce, le Portugal, l’Espagne, l’Italie pourtant familière des miracles, et même l’habile Irlande (trop habile en misant tout sur les secteurs volatiles de la finance et de l’informatique?) ne peuvent pas s’en sortir; que l’Allemagne ne peut ou ne veut plus porter le fardeau de l’incurie de ses partenaires surendettés; que la fuite en avant semble n’avoir pas de fin, qui peut croire à l’avenir de l’euro? Qui donc veut en garder dans son escarcelle? Et quand les Etats-Unis frôlent la cessation de paiement, à force de dépenser des milliers de milliards dans d’incertaines campagnes militaires menées dans de lointaines contrées où ils n’arriveront guère à étendre leur empire par les armes; quand la survie du dollar tient à la patience des mandarins de Pékin, qui donc veut garder des billets verts dans son portefeuille?

Les investisseurs – pourquoi les qualifier de spéculateurs? – se tournent donc vers des valeurs tenues pour sûres, l’or, d’autres matières premières, l’immobilier là où il ne forme pas une bulle, et le franc suisse pour le malheur d’une partie de notre économie.

Une autre partie, d’ailleurs, bénéficie du franc fort ou en souffre moins que les exportateurs les plus exposés. Les consommateurs de produits importés devraient être à la fête, à condition que les détaillants puissent faire rendre gorge aux importateurs exclusifs abusant de la situation. Pour certains industriels, le coût du produit comprend une large part d’intrants importés à bon compte. D’autres exportent des pièces de très haute précision dont le prix, même augmenté, ne pèse pas beaucoup dans le coût global de la machine allemande ou japonaise à laquelle elles seront incorporées. D’autres encore ont pu se tourner vers de vastes marchés émergents, en Asie ou en Amérique du sud. Rappelons-nous cette diversité des situations lorsqu’il s’agira de se prononcer sur une aide publique aux exportateurs.

Cela dit, l’industrie suisse étant surtout celle de la plus-value technique, dans laquelle le coût du travail est important, il faut bien considérer que, globalement, nos exportateurs – et notre tourisme – sont mal pris. Que faire?

On a beaucoup critiqué, jusqu’à mi-août, la prétendue passivité de la BNS et du Conseil fédéral, en particulier de M. Schneider-Amann. En réalité, ils ne pouvaient pas faire grand-chose. L’institut d’émission, l’an passé, a dépensé des dizaines de milliards en pure perte pour tenter vainement de soutenir le franc; il semble avoir été un peu plus heureux avec ses récentes déclarations – probablement parce qu’elles tombaient au moment où le marché sentait que l’ascension de la monnaie helvétique touchait à sa fin. L’autorité politique, tout aussi impuissante, a fini par sentir la nécessité psychologique de se manifester. M. Schneider-Amann a joué assez finement à propos du prix des produits importés, en encourageant les détaillants à faire pression sur leurs fournisseurs étrangers. Quant à l’annonce d’un plan d’aide massive à l’économie faite le 17 août, elle est assez remarquable: on en connaît précisément l’ampleur, deux milliards, assez pour faire impression; mais on en ignore l’exacte affectation, seules quelques pistes étant évoquées. Le Conseil fédéral a donc joué le jeu de la politique-spectacle.

Parmi les pistes figure l’allègement des cotisations AVS/AI/APG des exportateurs. Ce cadeau serait parfois inutile, vu la diversité des situations, comme on a vu plus haut. Surtout, ce serait un précédent fâcheux: à la prochaine crise du bâtiment ou du monde bancaire, sera-ce le tour des maçons ou des banquiers de bénéficier d’un rabais sur les cotisations sociales?

Quant à la décision du Conseil d’Etat vaudois de débloquer un demi-milliard, principalement pour les infrastructures des agglomérations, elle est sans doute bienvenue au vu du retard pris dans les travaux publics; mais cette manne n’a guère de rapport avec les soucis des exportateurs.

Il convient d’envisager que le cours de l’euro – et du dollar US – ne remonte pas à son niveau antérieur. L’économie suisse, au prix d’une transition peut-être douloureuse dont les pouvoirs publics ne peuvent qu’amoindrir faiblement les effets, devra bien s’y adapter.

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