Big Other
Raspail avait eu en 1971 déjà l’intuition de la rupture qui se préparait, et avait été un des rares à posséder le talent et le courage de la poser sur le papier. Quarante ans plus tard, il revient sur la parution de l’oeuvre, son accueil dans les différents milieux et le grand public. Il ne fait pas de secret des réactions enthousiastes, en tout cas intéressées, que lui ont adressées de nombreuses personnalités liées de près ou de loin au monde littéraire et politique de la France. Et pourtant, en contradiction évidente avec ces messages privés, force est pour lui de constater que le discours officiel, depuis des décennies, a banalisé l’immigration massive et élevé au rang de quasi-religion le prétendu antiracisme… D’où la question lancinante de l’auteur: «Pourquoi?» Pourquoi pareilles divergences entre les confidences et les déclarations, entre les paroles et les actes?
Le Camp des Saint a été le roman phare qui a eu raison avant les autres, qui a vu venir, parce que son regard était plus profond, le bouleversement qu’engendrerait le brassage de populations théorisé et promu par des élites fatiguées d’assumer leur histoire. La nouvelle préface de Jean Raspail nous le rappelle non sans satisfaction. Mais si cette préface dépeint le tunnel, le lecteur continue de chercher le chemin vers la lumière. Raspail laisse consciemment toutes les questions ouvertes: «Pourquoi» bien sûr, mais surtout «et après»? Si des rangs même de ceux qui nous gouvernent il n’est plus impensable d’entendre que le multiculturalisme a échoué, quel avenir à présent pour ces dizaines de millions d’Européens en mal de repères et pour les millions d’immigrés de première ou de deuxième génération déchirés entre leur quotidien et leur histoire? Quelle cohabitation? Est-elle seulement possible? A quel prix? L’Europe sera-t-elle chrétienne, musulmane, laïque, ou simplement déchirée par le communautarisme? L’issue sera-t-elle pacifique ou violente? L’Europe s’éteindra-t-elle dans la consommation ou réussira-t-elle à engendrer un rebond de civilisation? Et saurons-nous faire la part entre le religieux et le culturel, le sacré et l’historique?
L’ouvrage inspiré de Raspail a été l’annonce avant l’heure de la catastrophe qui se joue tous les jours sous nos yeux. Maintenant qu’elle se réalise, la nouvelle génération attend avec obstination le grand livre qui sera celui de la reconstruction. Raspail lui-même l’appelle de ses voeux: «Il y aurait un roman périlleux à écrire là-dessus [la reconquista]. Son auteur n’est peut-être pas encore de ce monde, mais sous une forme ou une autre, ce livre verra le jour en temps opportun, j’en suis sûr.» C’est ce grand roman qu’attend une jeunesse à la recherche des figures de proue qui lui permettront de distinguer quel est le chemin à prendre et, puisque c’est un mot cher à Raspail, quelle «attitude» adopter, entre gémissements recroquevillés et dissolution inconsciente, pour conserver, transmettre et reproduire.
NOTES:
1 Jean Raspail, Le Camp de Saints, Robert Laffont 2011
Au sommaire de cette même édition de La Nation:
- A un enseignant hésitant – Editorial, Olivier Delacrétaz
- Intégrable? – Cédric Cossy
- Droits politiques des étrangers: de la spoliation à la désintégration – Alexandre Pahud
- Une drôle de conférence de presse – Pierre-Gabriel Bieri
- Le franc fort – Jean-François Cavin
- L’avenir de Mme Lyon – Olivier Delacrétaz
- Perles récoltées au Tessin – Revue de presse, Ernest Jomini
- Surprenant Liechtenstein – Revue de presse, Ernest Jomini
- LEO contre Ecole 2010 – Revue de presse, Philippe Ramelet
- Merci aux Vaudois! – Revue de presse, Philippe Ramelet
- C. F. Ramuz à Estavayer-le-Lac – André Durussel-Pochon
- Adjectifs – Jacques Perrin
- Les verts chez les blancs – Comment vaincre la résistance au changement, la peur de l’autre et les créatures analphabètes – Le Coin du Ronchon