Identification
Veuillez vous identifier

Mot de passe oublié?
Rechercher


Recherche avancée

Big Other

Jean-Baptiste Bless
La Nation n° 1922 26 août 2011
Il ne s’agit pas d’un livre mais du titre de la préface dont Jean Raspail nous a gratifié pour la réédition de son fameux roman visionnaire, Le Camp des saints1. Son histoire, la voici: un jour de 1971, l’auteur est en vacances à Boulouris, sur la côte française de la Méditerranée; il contemple l’horizon scintillant de la mer et soudain une idée lui vient: «Et s’ils arrivaient.» Le sujet du roman est trouvé. «Ils», ce sont ceux qui viennent d’ailleurs, les Autres, ceux qui ne partagent ni le sol ni le sang, ni le parler ni le rite, ceux que l’on ne connaît pas, que l’on ne comprend pas, mais qui ont décidé de venir «chez nous» pour s’y établir. Ils débarquent par navires entiers sur les côtes du vieux continent sans qu’aucune résistance ne leur soit opposée. L’Autre, c’est donc celui qui vient déranger l’équilibre séculaire de tout un continent. Mais l’Autre c’est aussi la «phalange issue du sein de notre propre nation» qui, complice de l’invasion, écoute, surveille, condamne et punit ceux qui osent la remettre en question: «Big other».

Raspail avait eu en 1971 déjà l’intuition de la rupture qui se préparait, et avait été un des rares à posséder le talent et le courage de la poser sur le papier. Quarante ans plus tard, il revient sur la parution de l’oeuvre, son accueil dans les différents milieux et le grand public. Il ne fait pas de secret des réactions enthousiastes, en tout cas intéressées, que lui ont adressées de nombreuses personnalités liées de près ou de loin au monde littéraire et politique de la France. Et pourtant, en contradiction évidente avec ces messages privés, force est pour lui de constater que le discours officiel, depuis des décennies, a banalisé l’immigration massive et élevé au rang de quasi-religion le prétendu antiracisme… D’où la question lancinante de l’auteur: «Pourquoi?» Pourquoi pareilles divergences entre les confidences et les déclarations, entre les paroles et les actes?

Le Camp des Saint a été le roman phare qui a eu raison avant les autres, qui a vu venir, parce que son regard était plus profond, le bouleversement qu’engendrerait le brassage de populations théorisé et promu par des élites fatiguées d’assumer leur histoire. La nouvelle préface de Jean Raspail nous le rappelle non sans satisfaction. Mais si cette préface dépeint le tunnel, le lecteur continue de chercher le chemin vers la lumière. Raspail laisse consciemment toutes les questions ouvertes: «Pourquoi» bien sûr, mais surtout «et après»? Si des rangs même de ceux qui nous gouvernent il n’est plus impensable d’entendre que le multiculturalisme a échoué, quel avenir à présent pour ces dizaines de millions d’Européens en mal de repères et pour les millions d’immigrés de première ou de deuxième génération déchirés entre leur quotidien et leur histoire? Quelle cohabitation? Est-elle seulement possible? A quel prix? L’Europe sera-t-elle chrétienne, musulmane, laïque, ou simplement déchirée par le communautarisme? L’issue sera-t-elle pacifique ou violente? L’Europe s’éteindra-t-elle dans la consommation ou réussira-t-elle à engendrer un rebond de civilisation? Et saurons-nous faire la part entre le religieux et le culturel, le sacré et l’historique?

L’ouvrage inspiré de Raspail a été l’annonce avant l’heure de la catastrophe qui se joue tous les jours sous nos yeux. Maintenant qu’elle se réalise, la nouvelle génération attend avec obstination le grand livre qui sera celui de la reconstruction. Raspail lui-même l’appelle de ses voeux: «Il y aurait un roman périlleux à écrire là-dessus [la reconquista]. Son auteur n’est peut-être pas encore de ce monde, mais sous une forme ou une autre, ce livre verra le jour en temps opportun, j’en suis sûr.» C’est ce grand roman qu’attend une jeunesse à la recherche des figures de proue qui lui permettront de distinguer quel est le chemin à prendre et, puisque c’est un mot cher à Raspail, quelle «attitude» adopter, entre gémissements recroquevillés et dissolution inconsciente, pour conserver, transmettre et reproduire.

 

NOTES:

1 Jean Raspail, Le Camp de Saints, Robert Laffont 2011

Vous avez de la chance, cet article est en accès public. Mais La Nation a besoin d'abonnés, n'hésitez pas à remplir le formulaire ci-dessous.
*


 
  *        
*
*
*
*
*
*
* champs obligatoires
Au sommaire de cette même édition de La Nation: